Après avoir interviewé Hitler, le jeune journaliste britannique Gareth Jones se débrouille pour rejoindre Moscou en 1933, en voulant cette fois interviewer Staline. Il va surtout être le premier à découvrir l’Holodomor, l’extermination par la faim orchestrée par Staline en Ukraine, avant d’être assassiné l’année suivante, premier lanceur d’alerte sur les atrocités perpétrées par le Soviet suprême.

Construit à la façon d’une enquête journalistique (Agnieszka Holland est fille de journalistes), le film prévient d’entrée de jeu vouloir être « une simple histoire racontée à tout le monde », pas un récit des « monstruosités » du Soviet supreme.

Oeuvre de vulgarisation au meilleur sens du mot, ce film de femmes (il est aussi écrit par une jeune scénariste, Andrea Chalupa) prétend faire entrer dans l’imaginaire collectif un récit historique encore par trop méconnu, magnifiquement reconstitué, de la même façon qu’Agneszkia Holland fut une des premières réalisatrices à aborder dans Europa, Europa (1990) l’Holocauste à l’intérieur d’une fiction, trois ans avant La Liste de Schindler.

Agneszkia Holland à L’Ombre de Staline et de l’Holodomor

Cinéaste politique et grand public, sans la moindre démagogie, elle filme une nouvelle fois ici l’angle mort d’un monde occidental égoïste et corrompu qui n’a pas voulu voir ce qu’un « lanceur d’alerte » de l’époque lui mettait pourtant sous les yeux (le New York Times étouffera la vérité). Le cinéma de la polonaise, ancienne assistante de Wajda, fait preuve d’autant de savoir-faire dans la reconstitution, que d’une humilité salvatrice pour raconter ce « simple récit » comme l’appelle la réalisatrice, mécanique infernale conduisant à étouffer les pires réalités à force de désinformation orchestrée par la propagande politique.

Oeuvre utile. Le film y gagne en impact, susceptible de toucher le plus grand nombre, même s’il y perd un peu en intensité dans sa seconde partie tournée dans les plaines ukrainiennes (en citant Orwell), ne souhaitant pas approcher le calvaire de Gareth Jones et les souffrances de trop près. Mais conservant tout du long un point de vue honnête et documenté, il sera resté fidèle à son héros : il n’y est jamais question de Staline pas plus que de Hitler, mais bien de l’histoire vécue par le plus grand nombre, à l’ombre de la grande Histoire.

La bien-pensance du New York Times

Après Europa, Europa ou Le Complot sur l’assassinat du prêtre Popieluszko à l’époque de Solidarinosc (tourné à Villeurbanne), Agnieszka Holland aura une nouvelle fois porté à la connaissance de tous un sujet rarement traité au cinéma. En prime, on y découvre l’idéologie bien pensante du prestigieux New York Times, allant jusqu’à travestir la réalité en fake news, qui sévit encore aujourd’hui… Instructif à tous points de vue.

L’Ombre de Staline d’Agnieszka Holland (Mr Jones, UK-Rus-Ukr, 1h58) avec James Norton, Vanessa Kirby, Peter Sarsgaard… En replay gratuit sur Arte jusqu’au 18 avril.

Agnieszka Holland