L’Ins­ti­tut Lumière consacre une rétros­pec­tive XXL au roi du mélo holly­woo­dien en Tech­ni­co­lor, aussi conven­tion­nel en appa­rence que singu­lier dans l’ap­proche de ses person­nages.

C’est le roi du mélo­drame. Tout est toujours too much dans les films de Douglas Sirk, en tout cas dans ses mélos holly­woo­diens des années 50 : le lyrisme (le Chopin orches­tral pour ouvrir Le Secret magni­fique), les couleurs Chupa Chups les plus flam­boyantes du Tech­ni­co­lor de l’époque, l’abon­dance de décors et de costumes qui feraient passer le maquillage de Cate Blan­chett pour de la sobriété éner­gé­tique, et les situa­tions les plus cathar­tiques d’une Amérique engon­cée dans ses conven­tions sociales d’après-guerre, parti­cu­liè­re­ment quand il s’agit des femmes…

Et pour­tant, le miracle du cinéma de Douglas Sirk fait toujours vibrer la vérité des senti­ments les plus enfouis, l’hon­nê­teté des atten­tions et des imper­fec­tions sous l’ar­ti­fice de la réus­site sociale ou de l’ordre fami­lial. L’in­con­nue Juanita Moore passe d’une simple domes­tique noire à la véri­table héroïne bonhomme et lucide du Mirage de la vie, sublime mélo anti-raciste à faire pleu­rer même un Gérald Darma­nin (c’est dire), et Le Secret Magni­fique est un pur mélo philo­so­phique assu­mant son plai­doyer chré­tien dans une histoire d’amour où se cotoient la méde­cine (donc la science), face au handi­cap, et le véri­table altruisme, comme seule façon de rendre utile son exis­tence.

Lauren Bacall et Robert Stack dans Ecrit sur du vent de Douglas Sirk.
(Prod DB © Univer­sal Inter­na­tio­nal Pictures (UI))

Plai­doyer chré­tien et revanche des laissé(e)s pour compte

C’est tout le para­doxe de Sirk : sa froi­deur dano-germa­nique utilise toujours les conven­tions les plus outrées avec une ironie sourde, pour mieux faire vibrer ses acteurs et leur dilemme à vivre sous nos yeux. Avec ses propres mystères : dans Le Temps d’ai­mer et le temps de mourir (1957)peut-être son plus beau filmSirk détourne le film de guerre pour filmer une dernière histoire d’amour d’un soldat sur les décombres d’une Alle­magne nazie qu’il a bien connue… pour y avoir perdu son propre fils sur le champ de bataille à Kiro­voh­rad (ex-Russie et dans l’Ukraine d’aujourd’­hui), à l’aube de ses dix-neuf ans.

Plutôt qu’un brûlot paci­fique mora­li­sa­teur, Sirk lui compose une prière en forme de chant d’amour, en espé­rant qu’il ait eu le temps d’être amou­reux… Tout le cinéma de Sirk est ainsi : un plai­doyer chré­tien pour des invi­sibles qui n’ont pas eu le temps ou l’oc­ca­sion de prendre la revanche sur le destin qui leur était imposé. Sous l’ar­ti­fice des appa­rences, les films de Sirk sont la plus fine étude psycho­lo­gique des laissé(e)s pour compte du monde occi­den­tal d’après-guerre. Rien que ça.

Rétros­pec­tive Douglas Sirk, de l’Al­le­magne à Holly­wood. 25 films. Jusqu’au 29 mai. Insti­tut Lumière, Lyon 8e. Tarifs habi­tuels.

Double programme Douglas Sirk / RW Fass­bin­der : Tout ce que ciel permet suivi de Tous les autres s’ap­pellent Ali. Mardi 25 avril à 18h45 et 20h45, précédé d’une intro­duc­tion sur l’es­thé­tique camp qu’a influen­cée Douglas Sirk, par Denis Revi­rand.

Le Mélo­drame chez Douglas Sirk. Confé­rence de Nedjma Mous­saoui, maître de confé­rences en histoire du cinéma à l’Uni­ver­sité Lyon 2.19h. Suivi de la projec­tion d’Ecrit sur du vent. 9 / 10 €. Mercredi 3 mai à partir de 19h.

Nos films préfé­rés de Douglas Sirk :

**** Le Temps d’ai­mer et le temps de mourir (1958, A Time to love and a time to die, 2h12) avec John Gavin, Lise­lotte Pulver…

**** Le Secret magni­fique (1954, Magni­ficent obses­sion, 1h48) avec Rock Hudson, Jane Wyman…

**** Mirage de la vie (1959, Imita­tion of life, 2h05) avec Lana Turner, Juanita Moore, John Gavin…

*** Ecrit sur du vent (1956, Writ­ten on the wind, 1h39) avec Rock Hudson, Lauren Bacall, Robert Stack…

*** Tout ce que le ciel permet (1955, All that heaven allows, 1h29) avec Rock Hudson, Jane Wyman…

*** La Ronde de l’aube (1957, The Tarni­shed Angels, 1h31) avec Rock Hudson, Doro­thy Malo­ne…

La lettre du Secret magni­fique (© Univer­sal Inter­na­tio­nal Pictures (UI) / DR)