Comment faire ? Comment s’y prendre ? N’ayant rien à dire – même à sa mère – et rien encore à faire (un baiser au cinéma nous apprendra qu’il deviendra cinéaste), Daniel, alter ego du cinéaste, traîne ses guêtres entre deux demoiselles et beaucoup d’inaction. C’est ce hiatus permanent entre une nature avenante, omniprésente, et sa nature à lui, encore impossible à assouvir, qui fait que tout ce qui pourrait être anodin dans Mes Petites Amoureuses touche au sublime. Autobiographique, le film d’Eustache mêle ses couples fabriqués pour un jour par une tendresse éphémère, au milieu des couleurs et des lumières de la nature la plus épanouie. De quoi nous astreindre avec délices au premières désillusions, annoncées en voix-off.

Mes Petites Amoureuses, visages et paysages de l’adolescence

L’impuissance à exister de l’adolescence s’épanche dans une vie végétative qui n’a pas besoin, elle, de s’assouvir. Mes petites amoureuses fait le portrait en creux, de ce manque, ce défaut initial, définitif, qui fait qu’on devient artiste. Eustache film les souvenirs de son Daniel morcelés par les fondus au noir, hachés par le temps, impossibles à enchaîner. Rien à faire, qu’à saisir la première fille qui passe pour se rassurer de sa mâle assurance (eh oui, on est au tout début des années 70…). Dégingandé, presque absent, Daniel est toujours obnubilé par la même chose. Tous les gens qui l’entourent – en bandes ou en couples – se retiennent par des liens d’occasion, jusqu’à la terrasse des cafés.

Le film le plus proustien de Jean Eustache

Aucune sensualité, aucun désir revendiqués, simplement ce besoin de voir comment le monde tourne et si on peut y appartenir. Pour Eustache, évidemment, la réponse est non. Et le film tout entier est construit sur cette enfance sans âge, obstinée, rude et vacante. D’où cette scène comique dans laquelle Daniel se prend littéralement pour un adulte avec le plus brillant premier dégré, et décide de monter le même numéro que celui qu’il a vu au cirque, en s’allongeant sur du verre dénudé pour épater les regards autour de lui. Il ne risque pas de faire l’adolescent, il n’a déjà jamais été enfant…

Mes Petites Amoureuses filme l’autobiographie d’un cinéaste qui n’a pas eu le temps de grandir, déjà à part. Le vert paradis des premiers émois érotiques qu’on caresse pour voir, et qu’on reconstruit pour ne pas avoir eu le sentiment de les avoir vécus. On croise le mythe Ingrid Caven et la révélation du septième art d’un des grands cinéastes du XXe siècle, plus proustien que jamais. Une forme d’éducation sentimentale dans un Technicolor enchanteur qui mêle visages et paysages dans la France des années de 70 et de Charles Trénet (au générique). C’est magnifique.

Mes petites Amoureuses de Jean Eustache (1973, Fr, 2h03) avec Martin Loeb, Ingrid Caven, Dyonis Mascolo… Mercredi 7 juin à 20h30 (séance présentée par Flavien Poncet) et lundi 12 juin à 18h30 au cinéma Lumière Bellecour, Lyon 2e.

Intégrale des films de Jean Eustache en copies restaurées au Lumière Bellecour à partir du 7 juin.

Dimanche 1er octobre à 11h au Comoedia, Lyon 7e.