“Pourquoi se cantonner à un genre, mon genre c’est le bon cinéma” écrivait-il. L’Institut Lumière honore d’une rétrospective (qui cartonne) un cinéaste entré dans l’imaginaire collectif qui a réinventé les genres du grand cinéma, oscillant entre fresques historiques et récits futuristes. Portrait.

Une mégapole futuriste saturée de néons qui transpercent une pluie nocturne, un enfantement monstrueux au fin fond de la galaxie, une Thunderbird bleu turquoise se précipitant dans le grand Canyon, ou une main rugueuse qui caresse un champ de blé sur la route de l’au-delà…. Rares sont les spectateurs qui n’ont été frappés par les visions de cinéma forgées par Ridley Scott, grand cinéaste démiurge, dont le regard d’esthète s’est employé à transcender tous les récits, tous les genres qu’ils a explorés, tous les mondes où il nous a embarqués. L’Institut Lumière rend hommage à un artiste majeur, encore parfois réduit par paresse critique à un simple illustrateur brillant. Qu’une cinémathèque lui consacre une vaste rétrospective est un événement en soi, à point nommé pour rappeler la richesse de sa filmographie et attester de sa place dans l’histoire du cinéma. À cet égard, avoir signé à lui seul deux chefs-d’œuvre de la science-fiction, Alien et Blade Runner, auxquels toute la production du genre se réfère depuis plus de quarante ans, suffit à clore les débats. Il est aussi un héritier de David Lean, autre Anglais exilé à Hollywood, avec qui il a en partage le sens de l’épique, coloré d’un regard distant et élégant sur un héroïsme volontiers éloigné de la flamboyance des codes américains.

Les Duellistes, le premier film de Ridley Scott avec Harvey Keitel.
Les Duellistes, le premier film pictural de Ridley Scott en 1977.

Peintre et cinéaste

Leader d’une génération de cinéaste britanniques venus de la publicité à la fin des années 70, « péché originel » mais école très formatrice dont il tirera le meilleur, Ridley Scott s’emploiera toujours à articuler l’exigence de modernité avec une convocation permanente de l’Histoire de l’art, dont il a une culture encyclopédique. Peintre lui-même, dessinant ses story-boards, la pression qu’il met sur ses équipes artistiques est devenue légendaire !

Alien, chef-d'oeuvre de la science-fiction signé Ridley Scott.
Le vaisseau abandonné d’Alien (1979).

Dès ses deux premiers films, Les Duellistes (1976), magnifique adaptation de Conrad, puis Alien (1979), le ton est donné : le cinéma de Scott traversera l’espace et le temps, oscillant entre fresques historiques et récits futuristes. Autant d’occasions, de (re)créer des mondes perdus ou anticipés, dont il soigne les moindres détails, avec un souci maniaque d’authenticité. Tout styliste qu’il soit, Scott affirme toujours viser le réalisme, tradition documentaire anglaise oblige. Mais l’expression visuelle que ces récits de tous les défis inspirent reste la grande affaire de son cinéma, où la forme est le fond. Dans des films globalement peu bavards, les décors construisent une pensée sociale et politique, la lumière dessine une psychologie, la musique reflète un état d’âme.

Sigourney Weaver, l'héroïne féminine d'Alien qui défie un monde d'hommes.
Ripley était une femme : la mythique Sigourney Weaver dans Alien.

Toute la beauté des mondes

Comme en second plan, ses films « contemporains », parfois plus intimes et secrets (tels Traquée, polar romantique des années 80, ou Tout l’argent du monde, autoportrait caché), participent d’une œuvre d’une rare cohérence thématique chez un cinéaste aussi intégré dans le système hollywoodien. Scott traite avec constance des sujets les plus sérieux, sans jamais se départir du désir de spectacle et des codes du genre, dont il maîtrise tous les rouages : qui peut se vanter de filmer une bataille comme Ridley Scott ? Son cinéma nous parle pêle-mêle de la volonté de puissance (à peu près tous ses films), du code d’honneur dans sa noblesse (Black Rain ou Gladiator, son film-somme) comme son absurdité (Les Duellistes, La Chute du Faucon noir, Le dernier duel) ; de l’argent corrupteur (American Gangster, Cartel, House of Gucci) comme des dérives de la foi (Kingdom of Heaven, Exodus, 1492), jusqu’aux grandes interrogations existentielles (Blade Runner, Prometheus). Sans oublier son féminisme décontracté et précurseur : le Lieutenant Ripley d’Alien était une femme et est devenu une icône éternelle, et Thelma et Louise, avec ses héroïnes tragiques et solaires, demeure d’une audace inégalée. Du haut de ses 84 ans, cet ogre de cinéma déborde de projets, qu’il enchaîne avec une énergie impressionnante, et semble nous défier, tel Russel Crowe apostrophant les spectateurs des jeux du cirque : « N’êtes-vous pas divertis ! » Oui, mille fois oui. Et on en redemande ! A.L.

La bande annonce d’époque des Duellistes, le premier film de Ridley Scott (1977).

Rétrospective Ridley Scott, du 1er juin au 17 juillet à l’Institut Lumière, Lyon 8e. Soirée d’ouverture mercredi 1er juin à 20h avec Gladiator, séance présentée par Jérémy Cottin. Lire aussi notre dossier complet Ridley Scott dans notre dernier numéro print de juin.