Depuis La Piel que habito, son dernier grand film, Almodovar a troqué ses derniers restes d’excentricité pour la dépression. Après les teintes grises du sinistre Julietta, il retrouvait avec Douleur et gloire les couleurs qui ont fait sa marque de fabrique. Jusqu’à enjoliver chaque scène de flashback, multipliant les poupées gigognes et les mises en abime, citant un à un tous ses films, des lavandières de Volver au cinéaste de La Loi du désir, en passant par le retour de sa maman.

On a craint un instant le film rétrospectif se complaisant autour de sa panne d’inspiration. Sans narcissisme ni concession, c’est tout le contraire qui va se produire dans cet autoportrait en état de grâce. Même sa maladie devient un vertige visuel dans une séquence graphique de toute beauté, jouant avec les radiographies comme autant de cartes vecteurs à son imagination.

Salvador Mallo (Antonio Banderas).

Le corps mature d’Antonio Banderas

Peu à peu, le film renaît après avoir accepté sa « douleur », jusqu’à l’épiphanie du « premier désir », magnifiée par un dessin d’enfance aussi enivrant qu’une madeleine de Proust retrouvé dans une galerie. Ce qui n’aurait pu être qu’une confession masquée des affres de la création (drogue, maladie, abstinence) devient la renaissance par l’imaginaire de celui qui n’aura jamais su être l’artiste de sa propre vie.

C’est ce qui rend ce film conjurant le mal de vivre aussi universel. Pour ce personnage en creux ni tout à fait lui-même ni tout à fait un autre, Almodovar accomplit un transfert de toute beauté à travers le corps mature d’Antonio Banderas, émouvant à chaque battement de cil, se réappropriant la barbe et les gestes fatigués de Pedro devenu “Salvador” avec une triste tendresse. Du retour à l’enfance de l’art aux amours qu’il n’a pu empêcher de mourir, ravivées le temps d’un baiser, il se pourrait bien qu’il aient signé ensemble leur chef-d’oeuvre, en pleine « gloire ».

Douleur et Gloire de Pedro Almodovar (2019, Esp, 1h53) avec Antonio Banderas, Leonardo Sbaraglia, Penelope Cruz, Asier Etxeandia, Nora Navas, Cecilia Roth…