Une simple caméra à l’épaule passe d’un masque du compo­si­teur malade au papier de son testa­ment signant sa mort. On est à Rome en 1781, et Josef Mysli­ve­cek, compo­si­teur oublié de l’his­toire de la musique est en train de s’éteindre, après avoir traversé l’Ita­lie de ses oeuvres – surtout des opéras – sous le nom d’Il Boemo.

Fait de « foi et de labeur » selon la profes­sion de foi de ce compo­si­teur qui sera mort de la syphi­lis – consé­quence funèbre de ce plai­sir qu’on dit char­nel avec les femmes, et qu’il n’aura eu le temps que de trop peu parta­ger – ce film en appa­rence modeste voyage nous fait voya­ger d’une ville musi­cale à l’autre avec une remarquable écono­mie de moyens, baigné tout entier de la musique de celui auquel il veut avant tout rendre hommage (formi­dable Philippe Jaroussky à la direc­tion artis­tique de cette redé­cou­verte paru chez Warner, qu’on aperçoit le temps d’une scène).

Une scène d’opéra avec Philippe Jaroussky dans Il Boemo.

Rencontre avec Mozart, enfant de génie

L’air de rien, tout sauf acadé­mique, ce film d’un réali­sa­teur tchèque qu’on ne connais­sait pas, reste immergé en gros plans dans la vie de l’époque qu’il a soigneu­se­ment recons­ti­tuée, avec un réalisme fleg­ma­tique dans lequel se mêlent inci­dem­ment la promis­cuité des plai­sirs et des besoins (au sens scato­lo­gique du terme), au beau milieu d’une conver­sa­tion intel­lec­tuelle. C’est bien la splen­deur (musi­cale) et la misère du quoti­dien d’un compo­si­teur que filme Petr Vaclav. Un compo­si­teur beau­coup trop terne dans son compor­te­ment (et même un peu ballot diplo­ma­tique­ment) pour avoir passé la rampe de la noto­riété, mais ô combien lucide sur l’évo­lu­tion de son art (du baroque au clas­sique), notam­ment lors d’une rencontre avec un certain Mozart enfant, gobant ses mains sur le clave­cin et sa science de la compo­si­tion la nuit pour en faire déjà la sienne.

L’or­chestre à la bougie à la façon d’un Barry Lindon lyrique.

Il Boemo est avant tout un formi­dable portrait du musi­cien à la tâche, tout entier dévoué à sa musique, devant navi­gué aussi bien avec l’at­ten­tion inat­ten­due et éphé­mère du pouvoir, qu’a­vec des chan­teuses aussi géniales que capri­cieuses, bien mieux payées que lui… Les superbes scènes d’opéra formi­da­ble­ment recons­ti­tuées rendent parfai­te­ment compte des condi­tions scéniques de l’époque, à la bougie, comme un Barry Lindon lyrique. En grand mélo­mane, Petr Vaclav n’élude rien des concur­rences entre théâtres italiens en fonc­tion des enjeux poli­tiques, ni des condi­tions des femmes, soumises aux pires mariages jusqu’au viol conju­gal.

Ce beau film biogra­phique est avant tout le portrait de celui qui « aurait pu » : « aurait pu » être connu avant Mozart s’il n’était pas mort de la syphi­lis et avait été plus poli­tique, « aurait pu » être l’amant aimant de femmes si elles avaient été libres. Ce n’était pas son heure. Et si le film le fait mourir dès sa première scène, c’est pour mieux le faire ressus­ci­ter par la musique qui lui survit, jusqu’au géné­rique de fin. Et qu’il est grand temps de redé­cou­vrir, grâce à Philippe Jaroussky.

Il Boemo de Petr Vaclav (Tch-It-Slo, 2h20 ) avec Vojtech Dyk, Barbara Ronchi, Elena Rado­ni­cich, Lana Vlady… Sortie le 21 juin.