Dans les steppes de l’Anato­lie orien­tale, la caméra regarde de loin une silhouette soli­taire, vêtue de noir, se frayer un chemin à travers l’éten­due ennei­gée. C’est la quatrième année d’en­sei­gne­ment de Samet (Deniz Celi­lo­glu) dans ce lieu pauvre aux condi­tions clima­tiques diffi­ciles, une affec­ta­tion obli­ga­toire sous les rigueurs du système d’édu­ca­tion publique turc. À l’école primaire du village il est plutôt proche de ses élèves. En parti­cu­lier de Sevim (Ece Bağci, abso­lu­ment remarquable), sa chou­choute qui nour­rit un béguin inno­cent pour lui et qu’il aime plus qu’il ne le devrait…la favo­ri­sant à plusieurs reprises en classe.

Les Herbes Sèches le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan

Après un malen­tendu concer­nant une lettre d’amour, une plainte est portée contre lui, et son ami/colo­ca­taire Kenan pour compor­te­ment inap­pro­prié. L’in­ci­dent va avoir un effet amer sur son atti­tude en classe ainsi que sur son amitié avec Kenan. Pour ajou­ter de la tension, les deux compères tombent amou­reux de Nuray, une ensei­gnante handi­ca­pée à l’es­prit vif. C’est avec Kenan, plus beau et plus humo­ris­tique, qu’elle flirte, mais c’est Samet qu’elle ne comprend que trop bien. Leurs visions du monde oppo­sées mais étran­ge­ment compa­tibles finissent par s’af­fron­ter dans un face-à-face intel­lec­tuel brillam­ment inter­prété par Deniz Celi­lo­glu et Merve Di̇z­dar (prix d’in­ter­pré­ta­tion fémi­nine à Cannes), qui accu­mule progres­si­ve­ment une tension érotique des plus inat­ten­dues.

Les Herbes Sèches le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan

Surprise et désillu­sions

A la fois anti-héros détes­table et misan­thrope blasé, Samet est un person­nage parti­cu­liè­re­ment diffi­cile à cerner. Sa recherche simul­ta­née d’at­ten­tion et d’iso­le­ment le rend mal aimable mais on ne peut s’em­pê­cher de ressen­tir une lueur d’es­poir en lui, symbo­li­sée par ses superbes photo­gra­phies des paysages et des visages qu’il prétend détes­ter. Pendant 3h17, Nuri Bilge Ceylan ne lésine pas sur le discours poli­tique et philo­so­phique ce qui pourra rapi­de­ment déso­rien­ter les spec­ta­teurs les plus impa­tients. Mais comme dans Winter Sleep, ces longs dialogues permettent au réali­sa­teur d’ex­plo­rer en profon­deur les désirs de ses person­nages, leur mécon­ten­te­ment et leurs ques­tion­ne­ments exis­ten­tiels sur le temps qui passe. Entre drame social, leçon d’éthique provo­ca­trice et triangle amou­reux conflic­tuel : ce neuvième long métrage éblouit par sa grande maîtrise esthé­tique, surprend par sa désillu­sion et captive par sa réflexion pessi­miste sur la nature humaine. Splen­dide !

Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan (Tur, 3h17) avec Deniz Celi­lo­glu, Merve Dizdar, Musab Ekici. Sortie le 12 juillet.

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