Après Mud et Midnight Special, Jeff Nichols retrouvait en 2017 le road movie et l’éternelle Amérique qui irrigue tous ses films, tout en s’essayant à un nouveau genre : le biopic, ou l’histoire vraie de Richard et Mildred, couple mixte longtemps interdit dans l’Amérique raciste d’après-guerre, jusqu’à qu’un arrêt de la cour suprême en 1967 portant leur nom autorise enfin le mariage en noir et blanc.

Apparemment, Loving pourrait être le film le plus conventionnel de Jeff Nichols, filmant patiemment une histoire d’amour au quotidien dans l’Amérique rurale des travailleurs manuels dans de splendides paysages en Technicolor (le film a d’ailleurs été tourné en pellicule).

Loving, amour banal contre violence raciste institutionnelle

S’attaquant pour la première fois au film historique, Nichols en détourne les lois du genre à rebours de la fresque. Comment filmer un amour au quotidien dans une société hostile ? De ce point de vue là, Loving sonne comme le pendant hétérosexuel du sublime Carol de Todd Haynes, filmant au même moment l’amour entre deux femmes. Ici, Jeff Nichols fait contraster le quotidien de l’amour le plus banal avec la violence raciste institutionnalisée. Face à l’amour paisible, presque sans histoire de Mildred et Richard, les mots de la loi les condamnant résonnent comme autant de scandales.

Joe Egerton et Ruth Negga dans Loving de Jeff Nichols.

Joe Edgerton et Ruth Negga, amour interracial

C’est tout l’enjeu du film : épousant la passivité et l’obstination de Mildred et Richard, son point de vue politique est constamment contenu dans sa mise en scène, évitant tout discours revendicateur ou moralisateur. Le racisme naît sans cesse du regard des autres, de cette complicité de la majorité silencieuse, noire ou blanche, qui ne veut “pas d’histoires” et qui plonge comme toujours chez Nichols ses héros dans une course clandestine guettée peu à peu par la paranoïa.

Aux côtés de Ruth Negga, en mutique viril mais passif bouillant à l’intérieur, Joe Edgerton est tout simplement exceptionnel. Humble narrateur, Nichols désacralise totalement le film de droit et de justice pour mieux rester avec ses amants taiseux dans des couleurs d’automne sublimes. Et rendre sa noblesse au combat sans arme d’un amour conjugal de toute éternité.

Loving de Jeff Nichols (2017, EU, 2h03) avec Joe Edgerton, Ruth Negga, Will Dalton, Alano Miller, Michael Shannon…