Auteur d’un thriller politique millimétré, El Presidente, l’Argentin Santiago Mitre passe à la comédie pour faire vivre l’étrange quotidien d’un couple prêt à tous les fantasmes – criminels – pour se sortir de l’ennui… Un dessinateur de BD argentin insoupçonnable trouve donc exil dans le Massif Central, dans “une ville qui ne ressemble pas à la France”, à savoir… Clermont-Ferrand ! (le film est une coproduction Auvergne Rhône-Alpes cinéma). Rapidement licencié, devenu un père au foyer oisif au point d’envisager le pire, tout va basculer lorsqu’il rencontre Jean-Claude, son voisin fou de vin et de jazz, dandy insupportable… bon à tuer ! Avec la même rigueur, cette drôle de comédie impassible de remariage (ou comment un couple va pouvoir se retrouver) va virer au noir, adaptée du roman étrange d’un autre argentin, Iosi Havilio. On y croise Melvil Poupaud en Méphistophélès irrésistible, en pleine maturité comique depuis la série Ovni sur Canal, dansant, chantant et se faisant décapiter avec classe, ce qui ne l’empêchera pas de tenir… la voix-off du film ! On se croirait dans Trois vies et une seule mort de Raoul Ruiz, le cinéaste chilien – exilé lui aussi – avec qui Poupaud avait commencé à tourner enfant. On est en fait en quelque sorte dans “Une vie de couple et plusieurs morts”, chacune étant administrée “tous les jeudis”. Toujours la rigueur…

Vimala Pons, solaire.
Melvil Poupaud en amateur vintage de Sidney Bechet.

Seconds rôles hauts en couleur

Dans cet exercice de style jouissif en forme de comédie noire loufoque, Santiago Mitre a la bonne idée d’avoir confié son personnage principal à un acteur impassible comme monsieur tout le monde (Daniel Hendler, impeccable), pour mieux faire briller les seconds rôles hauts en couleur autour de lui, comme un imaginaire farfelu revenu de l’au-delà. Vimala Pons est à croquer (elle a tous les talents, on la retrouvera même à la Maison de la danse la saison prochaine), et Françoise Lebrun revient de La Maman et la putain pour incarner un second rôle le temps d’une scène finement dialoguée. Au milieu d’une BO épatante entre la rengaine de Sidney Bechet, la musique originale de Gabriel Chwojnik et le Capri d’un Hervé Vilard ressuscité dans une véritable séquence de concert filmée comme un petit bijou pour l’occasion, Santiago Mitre nous amuse jusqu’au dernier moment sans jamais se prendre au sérieux. La découverte d’un cinéaste à part entière avec son style propre, grand directeur d’acteurs à la tendresse insensée. Il a plus d’un tour dans son objectif : son prochain film, Argentina, 85, est déjà fini de tourner, et annonce son retour au pays et ses retrouvailles avec le genre politique et Ricardo Darin, le grand acteur d’El Presidente. On a hâte.

Petite Fleur de Santiago Mitre (Fr-Arg,Esp, 1h38) avec Daniel Hendler, Melvil Poupaud, Vimala Pons, Sergi Lopez, Françoise Lebrun… Sorti depuis le 8 juin.

Daniel Hendler et Melvil Poupaud en pleine dégustation.