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Deuxième Palme d’Or pour le Suédois Ruben Östlund après The Square, Sans filtre est une satire jubilatoire avec une séquence d’anthologie sur un yacht d’oligarques russes ! Le film le plus ambitieux et le plus impressionnant de cette rentrée? Courez-y !

Il y a les punk à chiens, et il y a les punks à chics. Depuis The Square et sa première Palme d’Or en 2017, Ruben Östlund appartient manifestement à la seconde catégorie. Satiriste impitoyable des friqués jusqu’au cynisme, après l’art contemporain, le voilà qui s’en prend au monde des mannequins et des influenceurs (mal) embarqués sur un yacht de luxe pour oligarques (russes). Le générique donne le ton, comparant la meilleure façon de marcher d’une série de torses imberbes lors d’un casting animé par un intervieweur gay se trémoussant. Vous découvrirez enfin la différence entre H&M et Balenciaga… On se marre doucement, avant qu’avec son premier chapitre, Carl et Yaya, Ostlund s’attèle à son sujet favori : l’argent (qu’il montre) et le sexe (qu’il cache) pris au piège des apparences. Dur, dur, d’être un couple de mannequins, quand on oublie de payer l’addition. Ce premier chapitre digne d’une conversation chez David Fincher sera surtout l’occasion d’installer la tristesse de Carl (formidable Harris Dickinson, aperçu dans le dernier Kingsman), cachant ses rides au coin du front (le Triangle of sadness du titre original). 2h30 plus tard, il finira le film dans les bras d’une cougar (géniale Dolly De Leon) sur la plage, pour y trouver davantage de tendresse… et de poisson.

Battle marxiste

Woody Harrelson sur le yacht de Sans filtre de Ruben Ostlund, Palme d'Or 2022.
Woody Harrelson, capitaine infréquentable du Yacht.

Entre les deux, c’est la séquence centrale du Yacht, qui va embarquer tout ce beau monde dans un remake vomitif du Titanic. La capitalisme finissant sous le fard et le caviar de vieux couples repus ultra-riches va commencer à tanguer, autour de discours littéralement gerbants sur l’utilité des « grenades » aux « démocraties », et il ne s’agit pas des fruits… Ostlund se lâche, et la maîtrise étouffante et rabat-joie de The Square laisse la place au jeu de massacre le plus débridé, jusqu’à faire gicler la merde des soutes… L’argent encore, cette fois dans son versant psychanalytique. Le vieux capitaine communiste (Woody Harrelson) et son repreneur milliardaire russe (Oliver Ford Davies) se livre alors à la battle marxiste le plus délirante qu’on ait vu au cinéma depuis longtemps.

Charlbi Dean et Harris Dickinson,le couple de mannequins dans Sans filtre de Ruben Ostlund.
Yaya et Carl (Charlbi Dean et Harris Dickinson).

Titanic ou Koh-Lanta

Dommage qu’Ostlund ne se soit pas arrêté là. S’il retrouve dans sa première partie l’humour noir de son premier film, Snow Therapy (tourné dans les Alpes), en surdoué un peu trop content de lui, il ne peut pas s’empêcher de moraliser tous ces personnages dans une dernière séquence – la plus longue – façon Koh-Lanta sur un île déserte. Un envers du décor pour renverser les rapports de force au cas où l’on n’ait pas encore compris, mais qui nous permet de retrouver en second rôle Jean-Christophe Folly, un acteur qu’on aime bien, et une bonne blague de potache là aussi bien vue : un Mamadou vient vendre sur la plage des faux Chanel et Gucci à ces richissimes naufragés… Certes, le message est enfoncé aux quatre coins du Scope mais la férocité fait souvent mouche, et la maîtrise et l’ambition formelles sont incontestables. Ruben Ostlund est bien un satiriste des temps modernes, et sa deuxième Palme vaut mieux que la première, remplaçant le procédé passif-agressif de The Square par une forme de jubilation narquoise plus complice avec le spectateur. Elle pourrait même toucher un public plus large que d’autres récompenses, y compris les jeunes (et les oligarques russes !)… C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

La première scène de Sans filtre.

Sans filtre de Ruben Östlund (Triangle of sadness, Suè, 2h27) avec Harris Dickinson, Charlbi Dean, Woody Harrelson, Oliver Ford Davies, Dolly De Leon, Jean-Christophe Folly… Sortie le 28 septembre.

Harris Dickinson, à cran…