C’est une sorte de virée nocturne hallucinée, qui part de la prison pour revenir à la prison, avec en voix-off la solitude implacable de son anti-héros, impassible (Oscar Isaac, fantomatique). “J’aime la routine. En prison, j’ai appris à compter les cartes.” Le monde du jeu ne sera qu’une façade aveuglante aux néons fluos que vient briser le véritable sujet du film : des bouffées d’ultra-violence et de scènes de torture de Guantanamo aux limites du supportable, qui permettent à Schrader de retrouver son acteur fétiche, Willem Dafoe, ici en traître de guerre à expier.

Willem Dafoe dans l’enfer de Guantanamo dans The Card Counter de Paul Schrader.

This is hardcore

Hardcore comme le titre de son premier film, The Card Counter est du pur Schrader, à la fois contrit et flamboyant, déployant une maestria janséniste unique dans la cinéma américain, mêlant puissance et rigueur dans chaque plan, jusqu’au masochisme… Inutile d’y aller pour rigoler, tout n’est qu’épreuve et contradiction chez ce Schrader plus Christique que jamais : solitude dans les endroits peuplés des néons aveuglants des casinos, monde opaque des gamers qui fait écran à l’ultra-violence quand Oscar Isaac croise la route d’un jeune homme ayant soif de vengeance (Tye Sheridan, le gamin de Mud ou Ready Player One, dans un tout petit rôle), torture fantasmée ou bien réelle et amours rédemptoires.

Oscar Isaac et Tye Sheridan, en plein complot.

Lost Highway

On reconnaît Schrader à l’apogée de son style : images glacées sur musique sourde densifiées par la pulsion autodestructrice des personnages. La déambulation nocturne en steadycam finit parfois par tourner un peu à vide et se permettre quelques facilités comme comme les plans sur une route en perdition la nuit…

Tiffany Haddish, un des plus beaux rôles de femme dans un film de Paul Schrader.

Fétichisme (l’emballage du moindre meuble du motel), obsessions solitaires, compagnonnage destructeur, on ne tient pas franchement la comédie de la rentrée mais une forme de brûlot christique de la déchéance américaine contemporaine, belle comme le temps à tuer  sous les néons fluos des casinos. Avec en prime une nouveauté : une séquence d’amour hallucinée qui vire dans la séquence finale à une relecture de La Création d’Adam de Michel-Ange façon Eve aux faux-ongles, avec un toucher de doigts autrement plus païen que christique… Aussi noir que reste Schrader, il garde quand même une pointe d’humour… toute relative.


The Card Counter de Paul Schrader (EU, 1h51) avec Oscar Isaac, Tiffany Haddish, Tye Sheridan, Willem Dafoe… Sortie le 19 décembre.