Sortie en Italie en 1961, Une vie difficile a été éclipsé par le succès international de La Dolce Vita et sa Palme d’or, sorti l’année précédente. Pourtant, si La Dolce Vita révolutionnait le cinéma moderne, Une vie difficile de Dino Risi, historiquement plus ambitieux, couvrait 20 ans de l’après-guerre… pour aboutir à la même amertume. Même les titres des deux films semblent se répondre, et  c’est passionnant de pouvoir voir les deux aujourd’hui, à la faveur des Parfums d’Italie programmés dans les cinémas du GRAC cet automne, et de la rétro Mastroianni à l’Institut Lumière. Risi a toujours tenu une place à part dans la comédie italienne, plus amer dans son propos (Pauvres mais beaux), plus baroque dans sa mise en scène (Le Signe de Vénus), ou plus acide dans son observation sociale (Les Monstres, film à sketches impitoyable pour ses mâles contemporains, qui ne manqua pas de faire école) que bien des comédies réalistes. Embrassant l’anti-fascisme de la Deuxième Guerre mondiale à travers le portrait d’un écrivain en herbe journaliste sans le sou, c’est un des films les plus ambitieux du réalisateur, faisant le portrait de son pays jusqu’à l’avènement du libéralisme triomphant des années 60.  Mêlant comique de situation, archives de guerre et hommage au cinéma (Vittorio Gassman apparaît en légionnaire sur un tournage de Blasetti à Cinecitta), il reprend en le prolongeant le propos antifa de La Marche sur Rome, géniale satire de Mussolini. La scène du repas opposant monarchistes et républicains au moment du référendum est un pur bijou, jusqu’à la coupe de champagne, tout comme l’évocation de la mort du Duche à la radio alors qu’Alberto Sordi mange sa pomme. L’ironie à travers le quotidien du peuple, telle est l’arme secrète de Risi le moraliste.

Lea Massari dans Une vie difficile de Dino Risi.

Parfum de femme

La divine Lea Massari fait le reste, jusqu’à une scène d’ivresse terrible dans laquelle Sordi en mâle pathétique vante la “négresse” à table à ses côtés plutôt que sa femme “plus blanche que le lait”. La tragi-comédie selon Risi est sans concession, jusqu’à une scène de corbillard sur la plage de Viareggio, mais en gardant toujours la tendresse pour ces désenchantés qui rêvent encore à l’idéal d’être artiste. “On peut être artiste sans être élégant” lui dit un majordome en l’accueillant, avant que Sordi ne croise un ancien marquis orphelin sur un tournage à Cinecitta le temps d’une réplique qui fuse : “Papa est mort, j’ai des difficultés financières alors je fais Saint-Matthieu pour 35 000 lires par jour.” En une phrase, tout y est : la déréliction, le déclassement, les conditions précaires du milieu artistique, et pourtant un sublime noir et blanc pour faire vivre le rêve du cinéma à Rome. La copie restaurée du film est l’occasion rêvée de redécouvrir à sa juste valeur ce pendant amer et flamboyant de La Dolce Vita.

Une vie difficile de Dino Risi (1961, It, 1h53) avec Alberto Sordi, Lea Massari, Vittorio Gassman, Alessandro Blasetti… Dimanche 28 novembre à 11h au Comoedia, Lyon 7e.