Parfois, point n’est besoin de choisir. A un chef-d’oeuvre peut succéder un autre chef-d’oeuvre. En tout cas quand on s’appelle Steven Spielberg. Dédié à son père, son West Side Story n’est non seulement pas un remake de plus mais manifestement une oeuvre qu’il a souhaité porter au firmament de son panthéon personnel.

Il y parvient dès le petit sifflement qui accompagne un simple titre au générique de début, avant d’ouvrir sur un plan de grue sublime, dans lequel on découvre sur un panneau publicitaire ce qu’allait devenir le West Side huppé de Manhattan et son Metropolitan Opera, et le monde délabré, encore en déliquescence, dans lequel évoluent ses personnages.

C’est la première qualité de la version Spielberg, écrit par Tony Kushner (l’auteur d’Angels in America et déjà scénariste pour le Munich de Spielberg) : approfondir les racines sociales et raciales, jusqu’à la rage féminine de la dernière scène, tout en restant totalement fidèle à l’oeuvre originale. Ou comment faire un nouveau chef-d’oeuvre en respectant un chef-d’oeuvre.

Tony (Ansel Elgort), guettant Maria dans la scène du bal.

West Side Story, tout pour la musique

Car ce n’est pas pour rien si Spielberg fait un clin d’oeil au Met’ Opéra : en grand cinéaste amoureux de la comédie musicale américaine, non seulement il déploie une mise en scène époustouflante dans un New-York semi-réel semi-mythifié entre décors naturels et reconstitution en studio, comme lors de la rencontre entre Maria et Tony au bal, véritable scène d’anthologie.

Mais il épouse en prime chaque note de Leonard Bernstein et chaque mot de Steven Sondheim (qui vient de mourir) peut-être même encore mieux que l’original, chaque plan étant rythmé par la musique, magnifiée par le New York Philharmonic dirigé par Gustavo Dudamel, nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris, rien que ça…

Maria attendant Tony à sa fenêtre.

Le grand opéra de Steven Spielberg

Bref, en plus d’être une grande oeuvre populaire caressant le linge aux fenêtres du quartier portoricain ou les barbelés qui empêchent les lèvres des amants de se toucher, ce West Side Story est le grand opera de Spielberg, au sommet de son art cinématographique pour orchestrer un ballet visuel en perpétuel hommage au génie de la musique et de la danse.

Le cast, beau comme des ados assez gauches pour être déjà vintage, fonctionne parfaitement, entre les découvertes (Rachel Zegler en Maria et Mike Faist génial as Riff en personnage secondaire) et le retour du héros de Baby Driver d’Edgar Wright, réalisateur qu’on adore, en la personne d’Ansel Elgort en Tony . Comme dans l’original, la musique se retire dans la dernière demi-heure pour un finale lugubre de rage et de déréliction sociale.

Dans lequel Spielberg met en exergue une Angelina en vieille dame, personnage créé pour l’occasion, pour mieux rendre hommage à celle qui l’incarne, Rita Moreno, qui n’est autre que… l’Anita du film de Robert Wise. Ou comment jusqu’au bout servir le film original en signant sa propre version. Le grand film de l’année qui, bonne nouvelle, n’a pas eu besoin de Netflix pour être financé (mais de Disney).

West Side Story de Steven Spielberg (EU, 2h36) avec Rachel Zegler, Ansel Elgort, Mike Faist, Rita Moreno…

Rita Moreno, l’Anita du film original de 1962, devenue Angelina dans la version de Spielberg.