Notre critique littéraire préféré du Masque et la plume est invité à la Fête du livre de Bron pour son Cantique de la critique, petit livre documenté et stimulant. L’occasion d’une rencontre dans les coulisses d’un métier visible et finalement méconnu.

Vous citez Thibaudet et défendez le goût du plaisir dans la critique. Il faut beaucoup d’empathie pour être critique comme vous l’êtes depuis longtemps. Avant d’accueillir ou de rejeter des livres, il faut leur donner leur chance…

Arnaud Viviant : “Ce que vous appelez empathie, c’est ce que j’appellerais la curiosité. Dans la critique médiatique telle que je la pratique, c’est le rôle du journaliste. Lire demande beaucoup de temps, je ne fais pratiquement que ça en lisant en moyenne 200 romans par an, principalement français. C’est tout un paysage la littérature, qu’on voit évoluer avec le temps comme le reste de la société. Il y a les évolutions formelles comme l’autofiction que j’ai vu naître, et puis les sujets fondamentaux qui nous disent quelque chose du monde. On est toujours à la recherche du livre idéal, du livre qu’on admire ou du livre dont on est jaloux, mais si on n’a pas cette curiosité, il vaut mieux changer de métier. Le contrat de lecture du critique, c’est d’être intéressé d’emblée.

Vous distinguez dans votre livre les “écrivains du dimanche” des autres…

Je ne leur jette pas la pierre mais il y a effectivement différentes sortes d’écrivains : ceux qui sont un symptôme et qui peuvent nous révéler des choses sur la société, et les autres qui s’inscrivent dans l’histoire de la littérature. Ce n’est simplement pas le même emploi.

« Etre journaliste impose une certaine gaieté »

arnaud viviant

Le menu du Masque et la plume auquel vous participez est souvent plus tourné vers les best-sellers en livres qu’en cinéma où il se consacre avant tout au cinéma étiqueté d’auteur…

Je ne suis pas sûr… Ce qui est vrai, c’est qu’il y a beaucoup plus de gens qui vont au cinéma que de gens qui lisent. Je fais le Masque depuis une vingtaine d’années, on discute évidemment des livres avec Jérôme (Garcin, ndlr). Au début, je m’offusquais de certains choix de livres mais j’ai compris qu’il s’agit d’une émission de radio et qu’on ne peut pas balancer un sommaire qu’avec des inconnus si l’on souhaite être écouté. C’est une des fonctions de la critique : on nous écoute aussi pour ne pas avoir à lire les livres ! Encore une fois, ça prend beaucoup de temps. Et d’ailleurs, le public intervient sur les films dans l’émission cinéma, pas quand il s’agit des livres…

« Une librairie n’est pas seulement un lieu bien rangé et bien éclairé dans lequel on a le temps de flâner pour envisager un cadeau à faire. »

arnaud viviant

Vous venez de la presse rock et de la “contre-culture”, ce qui vous permet d’être de gauche sans être bien pensant. Vous pouvez aimez aussi bien des auteurs populaires que prendre des chemins de traverse…

Quand on est journaliste on veut être lu ou écouté, ça impose une certaine gaieté, j’aime bien me marrer dans la vie et j’essaie d’être rigolo. Le but c’est de partager ! Je sais très bien que je ne vais pas faire un best-seller avec un ouvrage sur la critique mais je ne suis pas un universitaire, j’ai voulu garder une certaine vivacité. C’est la même chose pour la liberté d’approche, je n’ai pas de responsabilité éditoriale. Je ne vais pas sortir le cliché de “l’indépendance”, mais je suis un pigiste qui ne dépend pas de la pub contrairement aux personnes qui dirigent des rubriques dans des journaux, donc je n’ai pas d’autocensure. Je peux d’ailleurs observer une professionnalisation des écrivains qui sortent un peu le même livre tous les deux ou trois ans, très bien fait, mais sans changer de trajectoire. Pour un critique, il n’y a rien de mieux que découvrir un auteur évidemment, comme j’avais pu le faire avec Houellebecq quand j’étais aux Inrocks et dont je suis le nécessaire contemporain. Mais j’aime les auteurs qui ont des hauts et des bas et des livres parfois peut-être plus maladroits mais qui sont souvent plus stimulants.

« Lire prend du temps, surtout quand on cherche à découvrir. On nous écoute aussi pour ne pas avoir à lire les livres ! »

arnaud viviant

Vous osez prendre des risques et même étriller gentiment la figure du “libraire indépendant” dans votre livre, ce qui ne vous a pas fait que des amis dans le milieu…

(rires) Je dois être un des rares auteurs à dire du mal des librairies qui ont la capacité de bloquer des livres… Mais il n’y avait rien de méchant. Je rappelais simplement à un moment avec le confinement où l’on s’apprêtait à comparer les libraires qui font du click and collect à Jean Moulin, que porter des chaussures était plus indispensable que de lire un livre, ne serait-ce que pour aller le chercher ! D’ailleurs, j’ai aussi reçu des retours de libraires positifs qui ont parfaitement compris mon propos. Une librairie n’est pas seulement un lieu bien rangé et bien éclairé dans lequel on a le temps de flâner pour envisager un cadeau à faire, même si je n’ai rien contre ça. Lire prend du temps, surtout quand on cherche à découvrir.”

Propos recueillis par Luc Hernandez

Arnaud Viviant, Cantique de la critique (La Fabrique éditions, 13 €).

Rencontre avec Arnaud Viviant (et Nicolas Richard) à la Fête du livre de Bron dimanche 13 mars à 15h30. Lire aussi nos articles sur Sorj Chalandon, Nicolas Mathieu et Abel Quentin dans Exit print de mars n°96.