Avis aux amateurs – mais aussi aux autres – l’iné­pui­sable explo­ra­teur de la dub et de ses racines Martin Nathan aka Brain Damage est de retour avec un quin­zième album paru le 28 mai dernier sur le label lyon­nais Jarring Effects. Au départ, l’idée est simple : donner une suite au fameux album Walk the Walk, enre­gis­tré en 2015 en Jamaïque, qui fut pour le musi­cien stépha­nois l’oc­ca­sion de colla­bo­rer avec de nombreuses légendes du reggae. Parmi elles, Horace Andy, Kiddus I, Willi Williams, Ras Michael ou encore Wins­ton McAnuff… bref, du lourd et à cette liste, déjà impres­sion­nante, aurait pu s’ajou­ter un autre nom mythique, celui de Big Youth, si les calen­driers s’étaient alignés… Ce n’est que partie remise, se disent alors Martin Nathan et son ami et ingé­nieur du son Samuel Clay­ton Jr, et l’idée germe petit à petit de lui consa­crer un album entier lorsque l’op­por­tu­nité se présen­tera. Cinq ans plus tard, en 2020, la rencontre musi­cale tant atten­due a enfin lieu et donne natu­rel­le­ment son nom au disque : Brain Damage meets Big Youth.

Jamaïque et pandé­mie

L’his­toire, écrite ainsi, semble magni­fique. En fait, c’est tout le contraire : enre­gis­tré en mars 2020 au moment où éclate la pandé­mie de covid-19, la réali­sa­tion du disque est jalon­née d’obs­tacles et de drames. Martin Nathan et Samuel Clay­ton sont tous deux touchés par le virus, et l’in­gé­nieur du son décède en avril. « On est partis à deux et je suis revenu tout seul » lâche Martin Nathan. «  C’est une de ces histoires tris­te­ment banales où la voiture sort de la route, fait dix tonneaux et quand ça s’ar­rête tu en as un qui a quelques égra­ti­gnures et l’autre à côté qui ne se réveille pas. » Le disque, pour­tant, est joyeux. Un concen­tré de lumière, un jaillis­se­ment de feu, un souffle habité comme on n’en avait pas entendu depuis un moment. Un disque que l’on n’at­ten­dait pas et qui, en l’es­pace de quelques titres, réus­sit à nous happer et faire voler en éclat tous nos préju­gés sur un genre musi­cal avec lequel on avait long­temps gardé une certaine distance.

La prédi­ca­tion délec­table selon Big Youth

« Malgré la tour­nure des événe­ments, je n’ai pas voulu donner au disque une couleur lugubre. Samuel était quelqu’un de lumi­neux, cela n’au­rait pas eu de sens de lui rendre hommage de cette manière. Je voulais abso­lu­ment finir ce projet pour lui, de la manière dont on l’avait conçu ensemble. Je pense que c’est ce qu’il aurait voulu. Après bien sûr, il y a une seconde lecture, quelque chose de plus enfoui, qui parle de la façon dont se sont passées les choses. » En mêlant jazz, reggae roots et dub, Brain Damage offre aux impro­vi­sa­tions de Big Youth un terrain de jeu dans lequel le prédi­ca­teur de 72 ans se glisse avec brio et délec­ta­tion. On laisse le disque tour­ner en boucle, en atten­dant de vivre l’ex­pé­rience en live, un jour, dans ce monde d’après qui finira bien par arri­ver mais dans lequel, de toute évidence, certains auront plus de cica­trices que d’autres. Ce disque est à la fois l’his­toire de l’une de ces cica­trices et un merveilleux baume pour tous ceux qui en ont à panser, d’où qu’elles viennent, en atten­dant le live, qui a lieu ce week-end au Transbo, pour l’an­ni­ver­saire du label. Alexandre Queneau

Brain Damage meets Big Youth (label Jarring Effects)
Summer Sessions, Trans­bor­deur, Villeur­banne. Brain Damage + Alpha Steppa + Nai Jah. Gratuit sur réser­va­tion.

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