Notre musicien electro préféré monte sur la scène de Fourvière avec la compagnie (La)Horde pour A Room with a view, présenté dans le cadre de la Biennale de la danse. Avant de créer sa première electro-symphonie avec l’ONL à l’Auditorium à la fin du mois. L’occasion d’un entretien… dans lequel il nous révèle sa collaboration avec Jacques Audiard pour son nouveau film, présentés à Cannes.

C’est (La)Horde qui est venu vous chercher pour le spectacle A Room with a view ?

Rone : Non, c’est exactement l’inverse ! En fait, ils n’avaient pas encore été nommés à la tête du Ballet national de Marseille, c’était juste avant, on se suivait sur les réseaux sociaux, j’avais vu leurs vidéos. J’aimais bien leur énergie et leur approche politique aussi, je trouvais qu’il y avait quelque chose d’assez nouveau dans leur démarche. Quand le théâtre du Châtelet m’a donné carte blanche, j’ai tout de suite pensé à eux, la scène est très grande, beaucoup trop grande pour que j’y fasse un concert tout seul ! ça correspondait à mon envie de travailler avec des danseurs et on a pu le faire dans de très bonnes conditions. On a pu travailler ensemble à 8 mains (puisqu’ils sont trois !), avec un casting de danseurs international et deux semaines de représentations. C’était idéal, donc je suis très heureux de pouvoir reprendre cette tournée aujourd’hui.

Vous parlez toujours de “concert” et non pas de “DJ set” quand vous évoquez votre travail, c’est parce que vous aimez déborder de la stricte scène electro ?

C’est une distinction importante pour moi, tout simplement parce que c’est une erreur de croire que je suis un DJ, même si ça n’a rien de méprisant. Mais j’ai toujours joué ma propre musique avec mes machines et mes instruments électroniques, pas la musique des autres.

Avec l’ONL, vous vous lancez fin juin dans un nouveau projet fou de compositeur : écrire votre première création electro-symphonique… Pourtant je crois que vous avez eu longtemps le complexe de l’autodidacte qui connaît moins la musique classique. Il vous a passé ?

Oui, j’ai eu longtemps le syndrome de l’imposteur, par exemple lorsque je me retrouvais sur des grandes scènes alors que je ne sais pas lire la musique… Quand je rencontrais des musiciens, au violoncelle ou au violon, je me faisais tout petit… Et c’est justement à leur contact que je me suis décomplexé. Ils finissaient par me dire : “arrête de te poser trop de questions et écris ta musique !”.

Comment est-ce qu’on écrit une symphonie électronique ?

Je suis parti des morceaux electro que j’avais composé en me demandant comment je pourrai les arranger pour un orchestre symphonique, pour arriver à un concert d’1h30 ! Je recherche vraiment un équilibre entre electro et acoustique avec un jeu de reliefs et de fusion pour mettre en valeur chaque texture musicale. Je travaille pour ça avec un véritable arrangeur, Romain Allender, qui lui est capable de générer des partitions. Je laisse tour à tour l’orchestre ou l’electro s’exprimer seul, mais j’utilise des morceaux samplés en faisant rejouer par-dessus telle ou telle partie de l’orchestre pour démultiplier les possibilités et arriver à des endroits nouveaux de pure collaboration live au moment du concert.

Rone face à lui-même pour composer l’album Créatures.

Les machines électroniques aident-elles à la conception et à l’écriture pour l’architecture d’un orchestre ?

C’est très écrit en tout cas, j’essaie de tenir un équilibre et de vraiment raconter une histoire musicale pendant 1h30. J’avais déjà eu une expérience avec un trio classique et j’avais travaillés avec l’Orchestre Les Siècles de François-Xavier Roth pour mon disque Motion. Mais ici le live devrait je l’espère produire un résultat assez innovant, même si pour le moment je travaille sel dans mon coin en Bretagne.

Y a-t-il des musiques classiques qui vous inspirent particulièrement ?

Philip Glass ou Steve Reich sont évidemment des références énormes pour moi. Mais je me surprends à aimer sur le tard plus que je ne le pensais des musiques plus anciennes comme celle de Vivaldi, particulièrement atmosphérique, et qui devrait sans doute inspirer ce projet.

« Je rêve de faire une comédie musicale avec les 18 danseurs de La(Horde) filmée par Jacques Audiard ! »

(rone)

Vous avez un reçu un César pour la musique du film La Nuit venue. La musique de film est-elle pour vous atmosphérique ou au contraire plus narrative ?

Pour La Nuit venue, il s’agissait d’une musique nocturne dans Paris assez atmosphérique effectivement. Mais je viens de terminer la musique du dernier film de Jacques Audiard (Les Olympiades, avec Noémie Merlant, ndlr), où là j’ai pu faire un travail plus narratif et exprimer les sentiments des personnages. C’est un de mes réalisateurs préférés, j’étais déjà ravi au départ, mais c’est en plus quelqu’un qui aime être surpris, donc le travail en commun est vraiment passionnant.

Vous n’êtes décidément pas un vrai DJ derrière ses platines : vous avez besoin de travailler avec les autres, danseurs, chanteurs, cinéastes…

La création musicale est un travail très solitaire. J’ai passé des années tout seul à faire de la musique instrumentale comme un laborantin ! Plus ça va, plus j’aime le collectif, il me nourrit. Je rêve de faire une grande comédie musicale avec les 18 danseurs du ballet filmée par Jacques Audiard, je vais finir totalement mégalo ! (rires) Mais mon prochain album sera probablement un album purement electro, je suis un peu schizo, comme le montrent les deux spectacles que je viens faire à Lyon…

Propos recueillis par Luc Hernandez

RONE aux Nuits Sonores en 2018.

A Room with a view par Rone at (La)Horde. Dimanche 13 et lundi 14 juin à 21h aux Nuits de Fourvière, Grand Théâtre, dans le cadre de la Biennale de la danse. De 16 à 32 €. nuitsdefourviere.com. Puis sur France 5 le vendredi 18 juin à 20h55 et sur france.tv en replay.

Rone, création electro-symphonique avec l’ONL. Ven 25 et sam 26 juin à 20h à l’Auditorium, Lyon 3e. auditorium-lyon.com

Les Olympiades, Paris XIIIe, un film de Jacques Audiard, musique de Rone (en compétition au festival de Cannes). Le 3 novembre au cinéma.

Photos : Cyril Moreau avec La(Horde), ci-dessus Olivier Donnet.