Le Musée d’art contemporain de Saint-Étienne pose une redoutable question à travers plus de 200 œuvres de 44 artistes sur 1 000 m². C’est aussi grand que le sujet est vaste. Qu’est-ce qui relie cette catégorie d’artistes que l’on qualifie d’autodidactes ? Évidemment, on pense immédiatement à ces créateurs à la marge, qui ont produit des œuvres sans jamais avoir vraiment approché le monde de la culture ni jamais mis les pieds dans une école d’art. Ceux-là, qui ont été remisés dans la case « art brut » comme le facteur Joseph Ferdinand Cheval (1879-1912). Tout au long de sa carrière dans les services postaux du petit village de Hauterives, il a accumulé des pierres avec une brouette pour constituer son « Palais idéal » inspiré de cartes postales. Son Versailles à lui, en version timbre poste. La reproduction en trois dimensions de cet impressionnant panthéon aux visées universalistes (une mosquée cohabite avec une église et des dieux égyptiens) occupe le centre d’une des salles en offrant un nouveau regard assez jubilatoire. Comme si vous étiez un drone.

L’art hors-piste : le Facteur Cheval et les artistes autodidactes
Une photo d’accident de la route du policier Suisse Arnold Odermatt !1965).

Mais la commissaire d’exposition Charlotte Laubard est allée beaucoup plus loin, en adjoignant à ces personnalités hors-piste, éloignées des remontées mécaniques de l’art contemporain, des artistes connus et reconnus. Yves Klein, Maurizio Cattelan, Christian Boltanski ou Sophie Calle côtoient Arnold Odermatt, le policier Suisse qui photographie des voitures accidentées, Gianni Piacentino le designer et pilote de moto créateur de carrosseries aussi brillantes qu’abstraites ou encore Richard Greaves, chef de cuisine qui a suivi des cours de théologie, et ses photos de mystérieuses cabanes en pleine nature montées à partir de bois de récup’ et d’encombrants.

Carol Rama – Appassionata, 1939

Remonter aux sources

L’originalité de la démarche de Charlotte Laubard a été de remonter aux sources, aux cheminements très divers menant au passage à l’acte. De fait, l’oeuvre de Christophe Boltanski découle du traumatisme lié à son père caché sous le plancher durant plus d’une année de guerre. George Widener est un autiste, quant à Galaxia Wang, si elle est diplômée de plusieurs écoles d’art, elle exploite un phénomène neurologique assez rare, la synesthésie, ou le fait d’associer naturellement les chiffres et les lettres à des couleurs. Décortiquer l’énigme autodidacte reste évidemment vain. Comme si on démontait une montre pour découvrir qu’elle ne donne plus l’heure, et c’est d’autant plus fascinant.

Henry Darger (1892-1973). « After the battle ». Crayon et aquarelle sur papier, 1910-1970.

L’Énigme autodidacte. Jusqu’au 3 avril 2022 au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne. Tous les jours de 10h à 18h sauf mardi. De 5 à 6,50 €.