Au milieu d’une maison en ruines, deux petites filles habillées de toutes les couleurs posent face à l’objectif. L’image est issue de la série Les Dépossédés, réalisée par la photographe Edith Roux lors d’un de ses premiers voyages au Turkestan oriental, en 2010. Elle ouvre sa nouvelle exposition lyonnaise à la galerie Le Bleu du Ciel.

Au départ, Edith Roux travaillait sur les gratte-ciels de Shangaï, jusqu’à ce qu’une connaissance l’emmène dîner dans un restaurant ouïghour. D’un coup de foudre pour les saveurs de cette région turcophone de l’Ouest de la Chine, la photographe et vidéaste tirera des années de travail sur la culture d’un peuple meurtri. Déportations, travail forcé, contrôle des naissances, torture, familles séparées…

Portraits ouïghours sous surveillance

Le drame de cette province, très médiatisé depuis 2020 et qualifié de génocide culturel par de nombreuses ONG, sous-tend les photographies d’Edith Roux sans jamais être montré frontalement. À mesure qu’elle s’y rend, ses allées et venues sont de plus en plus surveillées par le gouvernement chinois. « C’est devenu impossible pour moi d’aller là-bas, il y a un barrage tous les 30 mètres », confie l’artiste.

Poèmes photographiques contre l’oubli

Elle compose alors une galerie de portraits de membres de la diaspora, qu’elle rencontre à La Haye, Munich, Paris ou Washington. Des militantes (Dilnur Reyhan, photo), des familles, des étudiants, qu’Edith Roux prend le temps de mettre en scène dans l’intimité de leur quotidien. Quand une personne refuse de montrer son visage, la photographe le remplace par un miroir embué.

C’est notre propre bobine, floue, qui apparaît alors, et nous renvoie avec force à l’universalité de l’exil. La tragédie contemporaine dessinée ici est aussi sombre que l’exposition ne se révèle lumineuse. Les grandes baies vitrées du Bleu du Ciel – qui invitent à la respiration – dialoguent avec les couleurs d’une culture menacée par l’oubli à laquelle Edith Roux rend un vibrant hommage. On peut même emporter chez soi des poèmes ouïghours, calligraphiés au dos de tissus traditionnels.