L’exposition phare du Musée des Beaux-arts Poussin et l’amour cache un double-fond particulièrement intéressant. Ou plutôt, une sorte de suite, en apparence illogique, dans laquelle intervient Pablo Picasso. Quelles peuvent être les relations entre la cathédrale d’académisme du XVIIe siècle et le promoteur révolutionnaire du cubisme ? Si Nicolas Poussin n’a évidemment pas connu Picasso (il aurait fallu qu’il vive au minimum 216 ans, et encore pour le voir au berceau), le peintre Catalan a rencontré son ancêtre plusieurs fois, et de façon précoce, à travers ses œuvres. Tout d’abord, vers l’âge de 14 ans au musée du Prado, puis cinq ans plus tard au Louvre, visité à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900… où il représente l’Espagne ! Peu de temps après, il se prend lui-même comme sujet, adoptant la même pose que Poussin dans son autoportrait… du Louvre. On oublie parfois, qu’avant d’opter pour l’avant-garde et le génie cubique (il a 26 ans quand il peint les Demoiselles d’Avignon), Picasso a déjà une longue expérience de prodige du dessin classique. Il n’est pas né pirate graphique, mais fils d’un professeur des Beaux-Arts, dont il fût élève, à Barcelone, à 14 ans. Sa première toile ? Il l’avait peinte à l’âge de 8 ans. Et elle n’a rien d’un dessin d’enfant.

Bacchanale avec chevreau et spectateur de Pablo Picasso Pablo (1959). Paris, musée national Picasso – Paris. MP3472.

Dans les bacchanales, le vin coule à flots

Dans l’oeuvre protéiforme, pléthorique de Picasso, l’influence de Poussin (Ingres aussi) réapparaît régulièrement, notamment dans de fameuses scènes de bacchanales, dont cette exposition présente plusieurs exemples assez jouissifs. Sous couvert de dénonciation de l’intempérance, le vin coule chez Poussin. Sous prétexte de paradis antiques à la ruralité lyrique, les femmes nues et les faunes lubriques prolifèrent. Si Picasso, d’après ses dires, était un modèle de sobriété éthylique, il semblait cependant obsédé par la boisson. Il a peint assez pichets de vin et de bouteilles de rhum pour enivrer une garnison . Quant au côté satyre, il n’est pas besoin d’insister sur ce sujet, problématique, qui fait aujourd’hui débat. Toujours est-il que la bacchanale à la Picasso, très représentée vers la fin de son œuvre, notamment dans plusieurs exemplaires de la Suite Vollard ici exposés, montrent l’énergie, la liberté de trait dans une série de gravures où corps, animaux, minotaures et satyres sont enchevêtrés dans une presque abstraction géométrique. Pourtant, on reconnaît bien le Triomphe de Pan (en tête de cet article) dans sa Bacchanale d’après Poussin peinte pendant la libération de Paris, puis en 1946 dans la Joie de vivre. Ce qu’il y a de formidable avec les génies, c’est qu’on n’en n’a jamais fini d’explorer les recoins. Cette expo dans l’expo en est la preuve.

Picasso / Poussin / Bacchanales (et Poussin et l’amour). Jusqu’au 5 mars 2023 au Musée des Beaux-Arts, Lyon 1er. Du mercredi au lundi de 10h à 18h, le vendredi de 10h30 à 18h. 8 €.

Femme nue dans un fauteuil de Pablo Picasso (1941).
Belfort, Musée d’art moderne – Donation Maurice Jardot
(© Mairie de Belfort / Photo Philippe Martin)