Christophe Montenez et Denis Podalydès font l’ouverture des Nuits de Fourvière avec la troupe de la Comédie-Française, l’un en Tartuffe, l’autre en Orgon. Rencontre avec deux comédiens de théâtre hors norme pour savoir ce dont Tartuffe ou l’hypocrite, ici dans une version inédite, est le nom.

La version en trois actes inédite que vous jouez à Fourvière recentre l’intrigue. Qu’est-ce que ça vous apporté ?
Christophe Montenez :
Je crois que cette version agit comme une forme de révélateur. Elle amène chacun des personnages à se révéler tel qu’ils devraient être, et met en exergue la bascule vers le mal de certains personnages.

Orgon est un personnage qui possède une folie banale et effrayante. Mais vous arrivez à en dégager une forme de tendresse. Comment le voyez-vous ?
Denis Podalydès 
: C’est un homme qui n’a pas le pouvoir. C’est Madame Pernelle, sa mère, qui le détient. C’est une famille qui ne va pas bien ! Lui ne sait pas trop où se trouver. Un jour arrive dans son existence Tartuffe, qui vient combler le vide. C’est comme toutes ces personnes qui d’un coup se donnent à un gourou, une secte. Ils se radicalisent. Le sens de la vie, il n’y en a plus qu’un, c’est celui que l’on donne à l’inconnu qui occupe soudain la place centrale.


Ce personnage de Tartuffe est peut-être le plus mystérieux de la pièce ?
Christophe Montenez : Sa trajectoire est assez linéaire. Dès le départ, il est nu, lavé, c’est une résurrection. Il comprend vite les enjeux de la famille. C’est une manipulation, mais rien ne dit que Tartuffe n’est pas sincère… Il sait qu’il fait du bien à tout le monde. Tartuffe est vulnérable et tout ce que la famille projette sur lui, il le devient pour se protéger. C’est comme un bébé qui va sourire, non pour te faire plaisir, mais parce qu’il doit survivre. L’ogre est fait à l’image des autres.

Ivo van Hove vous avait déjà mis en scène dans Les Damnés. Qu’est-ce qu’il a apporté à la Comédie Française ?
Denis Podalydès :
Il a quelque chose qui nous électrise. Lors des répétitions, les scènes prennent une intensité folle en très peu de temps alors que pour d’autres spectacles, ça met un temps fou pour que ça vive un peu. Ici, dès le premier jour de répétition, on était dans le décor, la musique, la lumière.
Christophe Montenez : Oui, il fait de nous des acteurs assez efficaces. On réfléchit pas trop. On y va ! On prend un plaisir très grand et Ivo nous laisse une liberté incroyable. Il a une direction générale mais il ne nous dit jamais “mets-toi là”.

C’est une adaptation très sombre mais qui ne désamorce pas pour autant les effets comiques…

« On n’avait pas prévu de faire rire au départ. ça nous a surpris que le public rit sur certaines scènes. »

denis podalydès

Denis Podalydès : On n’avait pas prévu de faire rire au départ. Ça nous a surpris que le public rit sur certaines scènes, on était troublés. Je suis convaincu que c’est comme ça qu’il faut travailler Molière. Il faut traiter de façon sérieuse les choses comiques. Quand on joue trop à faire rigoler on perd quelque chose. C’est vraiment un mélange entre le tragique et la comédie. 
Christophe Montenez : Oui, il y a tellement de registres chez Molière qu’il ne faut pas les sacrifier au profit du rire.

Denis Podalydès, vous avez déjà mis en scène Molière. Qu’est ce qui fait sa modernité ?
Podalydès : Chez Molière, on retrouve tous les problèmes de la modernité. C’est une façon d’observer la société avec un humour et un sens du dialogue assez génial. Quand on l’écoute, c’est là qu’on est cueilli par le rire. Il y a des idées de génie : Tartuffe vient d’être surpris entrain de courtiser la femme d’Orgon. Orgon demande à Tartuffe si c’est vrai et il répond : “Oui” ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est une idée de génie… En s’enfonçant lui-même, il retourne complètement Orgon qui se retourne contre son fils. C’est le génie comique de traiter le sérieux avec humour ou quelque chose de drôle avec un énorme sérieux.”

Propos recueillis par Adrien Giraud, envoyé spécial à la Comédie-Française

Tartuffe ou l’Hypocrite de Molière. Mise en scène Ivo Van Hove avec les comédiens de la Comédie-Française. Du jeudi 2 au samedi 4 juin à 22h au grand théâtre antique des Nuits de Fourvière, Lyon 5e. De 20 à 39 €. Lire aussi dans notre dernier numéro la critique du spectacle par Adrien Giraud qui l’a vu en avant-première.

Christophe Montenez aux pieds de Marina Hands, le chanceux…