On vous l’avait conseillé. On vous le conseille encore plus maintenant qu’on l’a vu. Une femme seule, émue, sur les violons épars de la musique de Marie-Jeanne Serero. C’est d’abord la gravité qui entre en scène. “J’ai tout perdu” avoue la Marquise.

Dès la première réplique de Lisette (Suzanne de Baecque, photo ci-dessus), une servante comme il les aime, tout le génie de Marivaux éclate : “Mais Madame, tous les hommes sont-ils morts ? Il vous faut prendre soin de vos ressources…” La comédie sentimentale est lancée, celle de l’amour d’après l’amour, cette Seconde Surprise qui vient après qu’on ait reconnu son propre chagrin dans celui de l’autre.

La Marquise lors de son entrée en scène (Georgia Scallet).

Marivaux : L’amour sans amour, rien n’est plus gai

C’est ce qui arrive au chevalier Pierre-François Garel, qui ressemble à un jeune Hugues Quester se posant un peu trop de questions. “Les passions n’apprennent rien, au mieux elles passent”. Marivaux se moque des sachants à travers le génial monsieur Hortensius campé par Rodolphe Congé, piquant une crise de rage à hurler de rire.

La troupe est à l’avenant, domptant avec un naturel le galop de la phrase, même quand elle pointe un subjonctif imparfait. Chaque mot trahit un sentiment, chaque geste exprime le burlesque, et l’aparté qui suit en fait naître l’esprit.

Alain Françon, maître en son domaine

C’est bien un maître qui règne à la mise en scène, Alain Françon, qu’on est tellement heureux de retrouver après le terrible accident qu’il avait connu. Toute la salle rit du silence cueilli sur la mine d’un personnage, il fourmille d’idées jamais ostentatoires (comme le pique-nique de livres ou le creux en fond de scène pour donner du relief au décor).

Comme chez Marivaux, la représentation ne se prend jamais au sérieux, mais reste à l’affût de la lucidité des servants toujours prompts à railler l’éducation de leurs maîtres désaxés qui passent leur temps à se surprendre à eux-mêmes. Tout ce qui arrive aux personnages reste un drame sensible qui nous fait rire de notre propre condition amoureuse. C’est la plus belle incarnation possible de la comédie sentimentale, qui comme il se doit se termine “dans la joie”. Déjà un classique.

La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux. Mise en scène Alain Françon. Jusqu’au dimanche 19 décembre à 20h (dim 15h30) au TNP à Villeurbanne, grande salle Roger Planchon. De 14 à 25 €.

La Seconde surprise de l’amour par Alain Françon (photos Jean-Louis Fernandez).