Entretien Radio. Régis Jauffret a étanché sa soif de fiction depuis des lustres, avec un génie littéraire qui nous a souvent laissé pantois. Dans Sévère, il inventait une langue sexuelle à la première personne du féminin écrite à partir de l’affaire du banquier Stern, aux tendances SM affirmées jusqu’à l’extrême. Ayant travaillé autrefois pour un magazine de faits divers, il a récidivé avec Claustria, inspiré par l’affaire Josef Fritzl qui enferma et fit cinq enfants à sa fille dans la cave de sa maison en Autriche. À chaque fois, jusqu’à La Ballade de Ryker’s Island, roman féministe sur l’affaire DSK, il ne s’agit surtout pas pour lui d’écrire un mauvais épisode de Faites entrer l’accusé, en mode voyeuriste, fasciné par un fait divers sordide. Au contraire, Jauffret utilisait le fait divers comme une matière première, avant tout comme le réceptacle de la société qui le regarde. Mais le réalisme chez Jauffret a toujours gardé une part fantasmatique. Avec ses Microfictions 2018, il déployait un foisonnement de narration prodigieux, chaque récit d’une page et demie contenant à lui seul un roman en miniature. Avec Papa, il surgit comme toujours où on ne l’attend pas, évoquant la figure paternelle à partir d’un document authentique : un extrait vidéo surpris par inadvertance devant son poste de télévision, dans lequel son propre sort d’un immeuble escorté par deux nazis. « J’ai toujours détesté cette manie très française de déballer sur sa famille » confiait-il d’ailleurs dans le grand entretien que lui avait consacré la Fête du livre de Bron en février dernier. Mais ici, son père devient justement un « personnage de roman » parce qu’on ne sait rien sur lui, alors même qu’il a été arrêté, puis relâché, dans une rue que toute la famille Jauffret connaissait… Sans que personne n’en ait jamais parlé… Comment être le fils de personne ? Voilà le véritable cœur du livre, que Jauffret respecte avec infiniment de délicatesse. « On ne doit dire de ses parents que le vrai. Nous apparaissons en creux, c’est eux qui nous ont moulé. » Inventeur de formes, Jauffret finit par créer un dialogue post-mortem, tournant à une déclaration d’amour poignante. « Les enfants viennent-ils au onde pour servir à leurs parents de médicament ? Les humains comme des funambules ont besoin du balancier de la parentalité pour ne pas tomber dans le ravin. » Dans le grand entretien que vous pouvez écouter dans son intégralité sur le site de la Fête du livre u sur Arte radio, Jauffret a un mot magnifique : « « C’était un homme escamoté, on aurait dit qu’il était passé par là, et disparu dans le lointain. » Aussi à cause de ses différents handicaps et de sa surdité… « Peu à peu, je lui ai fait gagner sa place de papa », explique le romancier, magnifiquement interviewé. « Pour que la littérature fasse quelque chose pour lui, dans sa mémoire et dans son esprit. » D’où le titre, « Papa » et non pas « mon père », pour lui redonner cette existence intime qu’il n’a toujours eu qu’en miroir. 1h avec un grand écrivain, ça ne se refuse pas.

Grand entretien avec Régis Jauffret à la fête du livre du Bron à écouter << ici >>.

Toutes les tables rondes et les entretiens de la fête du livre de Bron 2020 sont disponibles sur Arte Radio << ici >>.

Vous pouvez lire Papa de Régis Jauffret (éditions du Seuil) en le réservant chez votre libraire ou en format numérique ; et trouver votre librairie << ici >>.