Contre toute attente, 2021 avait été une année record pour le festival Karavel…

Mourad Merzouki : “Effectivement, une année record côté public avec 17 000 festivaliers mais aussi côté partenaires. Pour nous, c’était vraiment la belle surprise, si on se replace dans un contexte où nous étions encore en pleine pandémie et on se posait beaucoup de questions, notamment sur la venue du public. On a fait des grandes salles comme l’Amphithéâtre 3000 ou les Célestins, c’était vraiment inespéré ! Pour notre anniversaire – 15 ans, ce n’est pas rien – c’était vraiment au-delà de nos espérances.

Vois-tu ce résultat comme une véritable reconnaissance du hip-hop ?

Oui. Il y a quinze ans, vouloir créer un moment fort autour du hip hop, ce n’était pas gagné… On a démarré avec 4 ou 5 représentations quand on en a 60 aujourd’hui dans une trentaine de lieux ! La culture est souvent un milieu où l’on regarde le verre à moitié vide et c’est vrai que notre subvention est identique aujourd’hui à celle d’il y a quinze ans (250 000 euros, ndlr), mais on peut vraiment avancer l’idée sans se tromper que la danse et le hip hop se portent très bien ! Quand on regarde ce qu’il se passe ailleurs, la France reste de loin le pays le plus soutenu. On ne peut que se réjouir de ça. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Et je considère que c’est ma responsabilité d’artiste et de programmateur d’amener du positif !

Fred Bendongué invité par Mourad Merzouki au festival Karavel.
La Culture du zèbre de Fred Bendongué, figure historique du hip hop. (photo Vincent Noclin)

Tu continues aussi de mélanger la découverte de jeunes compagnies qui reste au coeur du festival avec la fidélité à des artistes qui ont grandi depuis leurs débuts…

Exactement. Le hip hop s’est diversifié et bonifié, ça aussi c’est incontestable. Si on se retourne aujourd’hui vers ses débuts, le hip hop était beaucoup dans la démonstration et l’improvisation. Aujourd’hui, on trouve des propositions beaucoup plus élaborées, mais aussi intimistes, dans lesquelles le rapport au corps demande beaucoup d’introspection. C’est vraiment intéressant, ça veut dire que dans la tête de ces artistes-là, il y a la volonté de prendre des risques, de surprendre. On n’aurait jamais pu tenir 15 ans si le hip hop s’était contenté d’un copié-collé de ses débuts. A l’époque le hip hop était regardé comme une culture éphémère, un courant de mode qui n’allait pas durer, or ce n’est plus du tout ça. Karavel s’appuie sur cette dynamique : on trouve vraiment de tout dans Karavel, de Fred Bendongué qui pratique le hip hop depuis 15 ans et viendra faire un spectacle slamé sur son histoire, au waacking de princesse Madoki (en couverture de notre numéro de septembre spécial rentrée culturelle, ndlr) qui est rarement montré sur un plateau.

« Le hip-hop s’est diversifié et bonifié, le festival Karavel s’appuie sur cette dynamique. »

mourad merzouki

C’est un festival qui ouvre une autre voie de programmation que la Biennale de la danse ou le festival d’automne avec lesquels il ne saurait entrer en concurrence. Il s’agit vraiment d’ouvrir sur de nouvelles formes artistiques naissantes, mais aussi d’avoir un enjeu sociétal. 90% des artistes que l’on accueille sont des autodidactes, la plupart du temps issus des quartiers populaires, qui s’expriment par la danse. C’est un véritable trésor social. Je pense que le politique devrait s’en saisir pour ces questions-là aussi, qui sont des questions incontournables je crois. Ce n’est pas qu’un festival de divertissement, c’est un festival qui repose sur une forme d’engagement.

La compagnie Mazelfreten en ouverture du festival Karavel.
Rave Lucid, par la compagnie Mzelfreten, à retrouver en ouverture du festival Karavel. (photo Jonathan Godson)

Le politique, justement, ne t’a pas choisi pour prendre la tête de la Maison de la danse. Tu comptes rebondir avec de nouveaux projets autour de Karavel, comme par exemple des résidences ou une école supérieure de Hip Hop comme il y a le CNSMD pour la danse classique et contemporaine ?

Oui, comme tu le sais, je quitte le CCN de Créteil au mois de décembre, donc ma compagnie va redevenir nomade. Ma priorité, c’est de travailler sur un lieu d’implantation, par exemple à Saint-Priest. Je poursuivrai les projets que je mène sur l’Est lyonnais notamment à Bron c’est certain. Il y a un public et un désir politique aussi. Je compte évidemment poursuivre mon travail de créateur et continuer de partager mes spectacles avec les Lyonnais. Il y a un public à la fois bienveillant, fidèle et exigeant ici, et c’est mon histoire ! J’habite toujours Saint-Priest. Mais je veux aussi continuer le travail de passeur que je fais avec Karavel. Ta question est très pertinente sur une forme de Conservatoire, moi je parle de ballet, on peut parler d’un collectif de danseurs, on l’appelle comme on veut… Mais c’est une question fondamentale.

« J’aimerais créé un véritable ballet hip hop qui fasse travailler les danseurs au quotidien. »

mourad merzouki

Il y a eu le passage de la rue à la scène pour le hip hop, puis l’accueil dans les centres chorégraphiques nationaux. On n’aurait jamais pu l’imaginer au début. Donc maintenant, la question qui se pose, et que je me pose, c’est comment poursuivre ce travail sur le corps du danseur. Le gestuelle, l’énergie, la prouesse d’un danseur hip hop sont toujours bienvenues, mais 30 ans après les débuts, un spectateur d’aujourd’hui ne peut plus se contenter que de ça. C’est ce travail en profondeur, quotidien, de danseurs qui répètent et travaillent tous les jours auquel je voudrais m’atteler maintenant. Il faut bien se rendre compte que ce n’est pas le cas aujourd’hui pour la plupart des danseurs de hip hop. Certains passent d’une compagnie à l’autre, mais nous n’avons pas d’école avec une véritable formation sur plusieurs années comme on peut le voir en danse contemporaine ou en danse classique. Donc mon rêve, ce serait effectivement d’avoir les conditions, l’espace, l’outil pour faire ce travail-là. Pour que les danseurs de hip hop soient préparés à l’exigence des chorégraphies actuelles. Quand je crée un spectacle aujourd’hui, je suis amené à créer et former en même temps, souvent en à peine trois ou quatre semaines. J’ai parfois des danseurs qui montent pour la première fois sur scène. Mon travail à ce moment-là est double, c’est à la fois de les outiller pour être interprète et de les inscrire dans une pièce en particulier.

« J’avais je crois ma légitimité pour diriger la Maison de la danse, mais un autre projet a été choisi à l’unanimité, je veux leur faire confiance. »

mourad merzouki

La décision de ne pas avoir été retenu pour la Maison de la danse peut paraître assez incompréhensible du point de vue du public. Comment l’as-tu comprise ?

C’est une très bonne question ! Aujourd’hui, j’ai tourné la page… J’ai rêvé un projet pour cette maison avec passion et engagement comme tous les autres candidats. J’avais je crois ma légitimité de par mon travail et mon histoire. Un autre projet a été choisi (lire notre entretien avec Tiago Guedes dans notre numéro de rentrée le 1er septembre), et bien sûr, je souhaite que ce projet réussisse. Quand on connaît l’histoire de la danse à Lyon, on ne peut qu’espérer que la dynamique pensée à l’époque par Guy Darmet puis ensuite par Dominique Hervieu se poursuit. Je n’ai pas eu plus d’éléments me permettant de répondre à ta question. J’espère avoir l’occasion d’échanger prochainement. Mais le projet a été choisi à l’unanimité, je veux leur faire confiance. En ce qui me concerne, je vais continuer à rêver à mes projets autrement.”

Propos recueillis par Luc Hernandez

Zéphyr, un des plus beaux spectacles de Mourad Merzouki.
Zéphyr, un des plus beaux spectacles de Mourad Merzouki, repris pendant le festival Karavel.
(photo Laurent Philippe)

La rentrée tous azimuts de Mourad Merzouki :

16e festival Karavel, du 23 septembre au 23 octobre, à Bron et ailleurs. Lire notre sélection de spectacles dans notre hors-série de la rentrée culturelle.

Phénix, nouvelle création de Mourad Merzouki pour quatre danseurs et une viole de gambe (Lucille Boulanger en live), dans le cadre de Karavel. Dim 25 septembre au festival d’Ambronay, de 5 à 20 €. Jeu 6 octobre au Pôle en scènes Albert Camus à Bron, 8 €. Ven 21 octobre au théâtre Allegro à Miribel, de 15 à 28 €.

Zéphyr de Mourad Merzouki, mardi 4 et mercredi 5 octobre dans le cadre du festival Karavel, au Radiant-Bellevue à Caluire. De 18 à 36 €.

Folia de Mourad Merzouki avec le Concert de l’Hostel Dieu. Vendredi 8 octobre à 20h à l’Opéra-théâtre de Saint-Etienne. De 10 à 42 €. Du mardi 11 au vendredi 14 octobre à 20h30 (jeu 19h) à l’espace Bonlieu à Annecy. De 8 à 31 €.