Les restau­rants ont évolué. Le dîner à la papa (entrée, plat, dessert, gros dodo) perdure, mais il existe désor­mais d’autres méthodes pour passer une bonne soirée, en s’ali­men­tant de façon agréa­ble­ment désor­don­née. Ainsi Abstract, offi­ciel­le­ment bar à cock­tails de type unique au monde (nous y revien­drons, c’est magique), peut se pratiquer aussi bien comme restau­rant.

Pour situer les lieux, imagi­nez nulle part : c’est préci­sé­ment là… Rémy Savage, meilleur mixo­logue du monde 2022 et Nico­las Mini­sini ont déni­ché un ancien bar-tabac en totale déré­lic­tion, sur le flanc de la Croix-Rousse, pour monter l’ex­pé­rience Abstract. L’idée géné­rale est de s’ins­pi­rer, très libre­ment, à la fois du bistrot de quar­tier 50 et de Nigh­thawks, le fameux tableau d’Edward Hopper, dont une repro­duc­tion très approxi­ma­tive décore un mur.

Et qu’est-ce qu’ils ont de spécial, ces cock­tails ?! Plus tard, on vous dit. Contrai­re­ment à la toile d’Hopper, l’at­mo­sphère n’est pas à la grande soli­tude urbaine. Il y a même une bonne ambiance assez sonore. On a dîné sur le grand bar en V qui aurait pu être dessiné par Raymond Loewy. Les plats, qu’on peut manger dans n’im­porte quel ordre, parta­ger, inter­chan­ger, ou garder pour soi tout seul, ont été conçus par l’étoilé pari­sien Guillaume Sanchez.

Les bons petits plats de Guillaume Sanchez

Mais pas de complexes écha­fau­dages, le propos est plutôt celui du bistrot moderne, avec du presque clas­sique comme des moules grati­nées au Saint-Marcel­lin, ou du plus radi­cal comme un très joli bouillon de ramen à la morue ou un excellent mélange à base d’an­guilles fumées dans l’étau d’un sand­wich crous­ti­fon­dant. De simples huîtres chaudes cuites au barbe­cue, les gros crus­ta­cés sauce cock­tail ou même l’ample salade aux écha­lotes montrent que simpli­cité et préci­sion épau­lées des éton­nants cock­tails trans­forment l’es­sen­tiel en parcours onirique.

Alcool distillé en cuisine

Aucune marque d’al­cool en vue, pas de gin, de whisky ni de vodka. Tout est distillé en cuisine, dans des machines de labo de recherche fonc­tion­nant sous vide, pour recréer des mélanges très purs, pulvé­ri­sant toute idée reçue. A tel point que le fromage blanc ou le beurre réduits à leurs molé­cules élémen­taires entrent même en jeu. La « Mauresque » récréée à base de badiane, jaune d’œuf et amande redonne une virgi­nité à la pratique du pastaga. La fram­boise tonic plonge dans l’ab­solu de la fram­boise. Fraise, thé vert, agave forment de façon inat­ten­due une idée de old fashio­ned. Dans ce nouveau monde où tout se percute et s’in­ter­pé­nètre, on a pris plai­sir à se dire qu’on pouvait aussi manger liquide.

Abstract. 2 rue Duroc, Lyon 1er. Du mercredi au dimanche de 18 h à 1 h. Pas de réser­va­tions.
Cock­tails : 13 euros. Fram­boise tonic : 9 euros. Galo­pin : 3,50 euros. Assiettes de 5 à 21 euros. Photos : Véro­nique Lopes.