Munis­sez-vous d’une paire de ciseaux d’en­vi­ron 250 km de long. Décou­pez quelques souve­nirs d’en­fance, de gros morceaux de cuisine liba­naise, quelques pans de Médi­ter­ra­née. Une fois ces confet­tis réunis dans un grand sac, ache­tez un venti­la­teur. Mettez-vous à l’en­trée de cette cathé­drale un peu arro­gante qu’est la cuisine française. Videz le sac. Action­nez le venti­la­teur. Voilà à peu près ce que suggère Ayla, un tout nouveau restau­rant « franco-liba­nais », aussi bien dans l’as­siette que dans la cuisine ouverte.

Deux chefs opèrent en couple (en fait, trois, puisque Alix en quelque sorte second contre toute évidence arith­mé­tique, les complète). Najem Atmeh (Four Seasons Beyrouth, Insti­tut Paul Bocuse) et Corinne Bec (La Réserve à Nice, La Pyra­mide) se sont rencon­trés dans les cuisines du Grand Réfec­toire de l’Hô­tel-Dieu. C’était déjà bon signe. Car il y aurait un genre litté­raire à exploi­ter, la food romance, avec scènes expli­cites de cuis­son à la braise et feuilles de vignes impu­diques dévoi­lant du labneh (yaourt), du praliné d’olive, de l’amande des fèves et des petits pois. En effet, dans ce plat, la feuille de vigne frite en tempura dévoile tout. Comme nous sommes passés à déjeu­ner et que ce plat est à la carte du soir écla­tée en mezzés, nous n’avons pu le goûter, comme un éton­nant poly­amour entre de la seiche, de la moelle de bœuf, la noix et l’ail des ours.

Corinne, Najem et Alix vous attendent même en terrasse. (photos Maxime Gruss)

Polya­mour et grand mezze civi­li­sa­tion­nel

Le menu du jour à durée de vie hebdo­ma­daire suffi­sait à se faire une idée. L’os­mose est réus­sie – et en même temps, comment pour­rait-il en être autre­ment, quand il y a du coeur, de l’es­prit et de la tech­nique. Le Liban est d’abord traité avec la juste licence poétique qu’il faut, à travers un tartare de bœuf au boul­gour d’une heureuse densité, accom­pa­gné de Shakira (rien à voir avec Beyonce et consorts, il s’agit d’une variété de piment) et de grenade cara­mé­li­sée. Le suprême de volaille (blanc de poulet en arabe litté­raire) se prend ensuite une sévère barre éner­gé­tique avec un condi­ment au foie (de veau) lié à une brunoise d’amande, de noix, de figue et d’herbes tandis que le riz poivré tourne discrè­te­ment à la muscade et la cannelle.

Déli­cieux, comme la cour­gette farcie au blé concas­sée voguant sur une crème de cour­gette à l’ail des ours (mélasse de grenade et sumac), rappe­lant que les phéni­ciens étaient de grands navi­ga­teurs. Comble d’exo­tisme enfin, le dessert « un petit air de miron » puisant aux origines de Corinne : la Tour du pin. La spécia­lité locale au choco­lat, nouga­tine et citron, été entiè­re­ment rebou­tée avec du kadaïf (cheveux d’anges), du citron noir et un trait d’huile d’olive. Un sans faute, le midi comme le soir, avec en prime une terrasse spatieuse et tranquille, à l’ombre des grands arbres. What else ?

Ayla. 11 place de l’Eu­rope, Lyon 6e. 04 27 78 40 74. Fermé dimanche et lundi. Formule : 22 euros (midi). Menu : 27 euros (midi). Mezzés (le soir) : entre 8 et 13 euros. Comp­ter entre 30 et 45 euros. Château Musar (vin rouge liba­nais déli­cieux) : 9 euros le verre.