Critique du film As Bestas, le nouveau thriller impressionnant de Rodrigo Sorogoyen, le réalisateur de Madre ou El Reino. Avec Marina Foïs et Denis Ménochet en invités surprise.

Le point de départ sur la haine entre voisins à cause d’un désaccord autour d’un projet d’éolienne est à peu près aussi artificiel que de voir Marina Foïs compter ses poireaux sur son tableau Excel… Mais la mécanique du nouveau film de Sorogoyen et sa scénariste Isabel Pena va être implacable et la construction on ne peut plus originale. D’abord, un tombereau de “ratés de merde” dans un village reculé de Galice, dans des face-à-faces de “saloon” à la façon d’un Tarantino espagnol composant un nouveau western. Chacun s’épie depuis ses terres et ses origines, la tension monte (superbe BO d’Olivier Arson, le compositeur habituel du cinéaste), le racisme aussi, jusqu’à l’irréparable. On a l’impression d’avoir tout vu venir, il n’en sera rien. Car si après Madre, son premier film sentimental, Sorogoyen revient au thriller, c’est en changeant totalement de forme depuis El Reino. En metteur en scène accompli, il ne se contente pas de faire monter la hargne jusqu’à la haine pour le plaisir, ni de cantonner dans un premier temps Marina Foïs en aide à domicile pour agriculture éco-responsable (“quand est-ce qu’on désherbe ?”).

Luis Zahera, l’acteur fétiche de Rodrigo Sorogoyen.
Denis Ménochet, bien décidé à défendre son territoire.

Inglorious bastards

En usant d’un art de l’ellipse ellipse maléfique, il renverse son film au beau milieu pour adopter le point de vue féminin, et un face-à-face mère-fille tout aussi impitoyable. Une séquence de neige et nous voici déjà dans l’après, quand il s’agit de revenir sur ce qu’il a bien pu se passer, comme un suspense à rebours. C’est sacrément original, malaisant pour la masculinité toxique qui y rôde, désespéré pour le sort des femmes jusqu’aux aînées, et au finale, franchement impressionnant. On se demande bien comment un tel art de la mise en scène a pu rester en hors compétition à Cannes…


As Bestas de Rodrigo Sorogoyen (Esp-Fr, 2h17) avec Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera (l’acteur fétiche de Sorogoyen déjà dans El Reino), Diego Anido, Marie Colomb… Sortie le 20 juillet.