On dirait un road movie. La traversée de la Russie la plus reculée en van avec une fille et son père. Et pourtant, on est loin du réalisme caméra à l’épaule. Il n’y en a d’ailleurs pratiquement pas. Pour son premier film, Ilya Povolotsky soigne ses cadres, nous fait découvrir à chaque fois des angles nouveaux, même pour filmer son van. Il a surtout réalisé préalablement trois fois ce voyage de 5000 km pour nous faire découvrir des lieux d’une Russie qu’on ne voit jamais au cinéma, encore moins aujourd’hui : villages reculés ou fantômes, ou friches industrielles à la cinématographie presque fantasmagorique.

Car La Grâce est avant tout un conte initiatique sous ses airs de documentaires, mêlant une photographie à la Nan Goldin pour filmer Maria Lukyanov, extraordinaire jeune fille, et une contemplation quasi fantastique à la Stalker d’Andréï Tarkovski, mêlant présence des « esprits » ou foire à la bricole pour prendre sa douche en pleine itinérance. Mais en SDF résolu, le film trace sa route, sans s’embarrasser de références.

La Grâce, un père et sa fille qui charrient tout un monde

La première belle surprise de La Grâce, c’est son foisonnement. Le père et la fille charrient avec eux tout un monde, celui de la Russie d’aujourd’hui, des zones commerciales improbables dans des contrées délaissées, à la foule qui se presse pour voir un film, projeté depuis son ordinateur par le père installé sur le toit de son petit camion (un Baladanov, cinéaste culte en Russie)…

Du monde des mécaniciens aux éoliennes en passant par les extraordinaires lacs gâtés par une « peste aux poissons » imaginaire, le film mêle paysages industriels et naturels à la façon du Désert Rouge d’Antonioni, l’esprit border line et les gueules russes en sus.

Entre jeunesse, désolation et modernité, La Grâce n’oublie pas d’incarner ses personnages, jusqu’aux seconds rôles. Le père, taiseux et insaisissable, a tout du cow-boy russe qui garde son côté terrien. Le jeune homme à la moto ou l’Isabelle Huppert russe de la météo habitent eux, de précieux personnages secondaires, avides d’émancipation.

Séquences exceptionnelles dans la Russie en friche

La séquence finale, plus attendue (chut), nous rappelle qu’Ilya Povolotsky n’a pas encore complètement confiance en lui. Mais les séquences exceptionnelles dans les friches industrielles russes et une virée hallucinatoire dans le désert digne de Lynch, en font déjà un des cinéastes à suivre de la jeune garde russe, aux côtés par exemple d’un Katemir Balagov (Une grande fille). Grande découverte.

Séquence hallucinée dans le désert.

De la République autonome de Kabardino-Balkarie au nord du Caucase jusqu’à Khabarovsk à l’extrême-orient de la Russie, Ilya Povolotsky nous trimbale les yeux grands ouverts, à travers les différents dialectes, dans un étrange voyage en docu-fiction. Le titre La Grâce en russe désigne d’ailleurs aussi bien la lubie, avec une certaine ironie, que l’extase, sans mysticisme aucun.

La Grâce d’Ilya Povolotsky (Rus, 2h) avec Marya Lukianova, Gela Chitava, Eldar Safikanov… Sorti le 24 janvier.

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