Adapté des mémoires de Scott Thorson, jeune californien tombé sous le charme d’un Richard Clayderman sexagénaire de Las Vegas, Ma Vie avec Liberace est tout sauf un biopic. De façon insidieuse, Soderbergh n’accorde jamais le moindre crédit à ce pianiste mécanique. On ne le verra d’ailleurs jamais répéter.

Il le prend pour ce qu’il est : une image de strass dans son “palace kitch”, aliéné par le succès jusque chez lui, enchaînant les liftings pour repousser l’âge de le retraite. Le personnage qui l’intéresse, c’est l’autre, ce Scott planqué “derrière le candélabre” (titre original du film), amant tenu secret pour ne pas effrayer un public bien-pensant, se mettant au régime californien des paradis artificiels pour oublier qu’il court après une chimère.

Matt Damon et Michael Douglas en amants gay dans Ma Vie avec Liberace.
Un semblant d’amour sous le strass… (Matt Damon et Michael Douglas)

Amours mécaniques

C’est une toute autre mécanique que le piano qui intéresse Soderbergh, celle d’une tragédie maquillée sous le plus luxuriant décorum, une histoire d’amour écrasée par la puissance du succès. Pour la filmer, il va utiliser l’arme suprême : le cadrage ironique.

Soderbergh a toujours été Hawksien, filmant tous les genres sans jamais vouloir imposer un style par trop reconnaissable. Ici, s’amusant une superbe photo irisée de porno soft, il pratique, impassible, le détail qui tue. La très belle rencontre entre Lee et Scott a lieu derrière la moue de l’ancien giton de Lee au premier plan, position dans laquelle on retrouvera Scott à la fin du film.

Sa vie avec Liberace

Un gros plan sur les pantoufles dorées de Liberace pendant qu’il cause anéantit la moindre sincérité du personnage, et lorsque l’ancien homme de maison fait savoir à Scott qu’il était là avant lui, Soderbergh cadre son entrejambe de dos, ramenant cette histoire à ce qu’elle est : une sordide affaire de fesses.

La tragédie annoncée galope à un rythme de comédie, et c’est le piano boogie virtuose de Liberace qui accompagne les opérations de chirurgie esthétique à répétition des deux amants, comme pour mieux les suivre dans leur course à l’abîme.

Michael Douglas et Matt Damon dans Ma Vie avec Liberace de Steven Soderbergh.
Michael et Matt Damon, presque sobres quand il s’agit de voitures…

Matt Damon forever

Behind the Candelabra est une tragi-comédie limpide appliqué au sujet le plus tordu qui soit : la fausseté d’un couple en négociation permanente (même Scott encouragera Lee à cacher son homosexualité), piégé par son mensonge initial. L’écrin le plus flamboyant et le plus vénéneux d’un naufrage au temps des années Sida (Rock Hudson en Une des journaux).

Encore plus que l’épatant Michael Douglas fané sous la moumoute, Matt Damon, d’abord gueule d’ange, amour rentré, puis drogué à l’intériorité ravagée, pataud et meurtri, traverse le film comme une étoile filant tout droit du placard au tombeau. Le film, c’est lui.

Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh (Behind the candelabra, 2013, Etats-Unis, 1h58) avec Matt Damon, Michael Douglas, Dan Ackroyd, Rob Lowe, Paul Reiser, Debbie Reynolds… Disponible gratuitement en replay sur FranceTV.