« Thriller social » revendiqué, Le Sixième enfant de Léopold Legrand est un premier film coup de poing suffisamment agaçant pour ne pas le surestimer, mais suffisamment talentueux pour ne pas passer à côté… A condition d’abord d’accepter nombre d’invraisemblances quant à l’installation de son récit. On veut bien croire qu’un jeune couple d’avocats soit plein aux as, mais de là à distribuer sans hésiter et sans compter des dizaines de milliers d’euros sur la bonne tête d’un client (Damien Bonnard, grand acteur pas très aidé par son rôle ici, plaies, coups et dettes qui s’accumulent à vue d’oeil sur son visage…), ça faut beaucoup… Ce couple d’avocats constitue d’ailleurs une des différences du film avec le roman d’Alain Jaspard dont il est tiré, Pleurer des rivières. Léopold Legrand semble s’être davantage intéressé aux « ferrailleurs » nomades du film (extraordinaire Judith Chemla, si catholique qu’elle mettra au monde l’enfant de trop). Vol, galère, accident de la route en pré-générique, La Sixième enfant ne lésine sur aucun surenchère avant d’en arriver à son véritable objet : l’inconcevable arrangement entre deux familles pour transférer un nouveau né d’une famille à l’autre moyennant beaucoup d’argent (là encore au prix d’invraisemblances quant il s’agit de tromper l’hôpital et la Sécu sur l’identité de la mère).

Sara Giraudeau et Judith Chemla dans Le Sixième enfant.
Sara Giraudeau et Judith Chemla se transmettant un bébé pour le meilleur et pour le pire…

Le plus beau rôle de Sara Giraudeau

Malgré une image au format carré, il y a plus d’application que de personnalité dans ce premier film qui cite ses références avec une colossale finesse : les ferrailleurs de Sautet, le dilemme social de L’Enfant selon les Dardenne, et la musique à la Tavernier (avec un violoncelle strident aux limites du supportable à l’hôpital), signée Louis Sclavis. Reste qu’au-delà des agacements, les personnages existent, jusqu’au bébé, et le malaise que Léopold Legrand voulait installer persiste bien au-delà de la projection. Benjamin Lavernhe est une nouvelle fois exceptionnel en second rôle, à la fois seul témoin lucide de ce qui est en train de se nouer et totalement paniqué par l’amour qu’il voue à sa femme, atteinte d’une maladie obsessionnelle qui ne dit pas son nom. C’est la grande réussite du film : nous laisser avec sa folie d’avoir un enfant à tout prix, aussi tendre que maladive. A la fois absente à elle-même et moteur de toute l’action du film, Sara Giraudeau y trouve son plus beau rôle.

Le Sixième Enfant de Léopold Legrand (Fr, 1h32) avec Sara Giraudeau, Judith Chemla, Benjamin Lavernhe, Damien Bonnard… Sortie le 28 septembre.

Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe dans Le Sixième Enfant de Léopold Legrand.
Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe.