Avant, Xavier Dolan fut un grand cinéaste, mais ça c’était avant. Avant qu’il n’interprète le formidable Nathan dans Illusions perdues de Xavier Giannoli. Prix du jury à Cannes en 2014, Dolan débarquait du haut de ses 25 ans et envoyait valser toutes les vieilles lunes cinématographiques. Reprenant le thème des relations mère-fils qui l’avaient révélé à la“Quinzaine” à Cannes pour son premier film, J’ai tué ma mère, il le transforme avec Mommy en un objet pop, lyrique, coloré, tour à tour douloureux et solaire. N’en déplaise aux grincheux et aux jaloux qui ne manquaient pas devant le talent insolent d’un cinéaste aussi jeune, en cinq longs métrages, Dolan avait déjà bien une œuvre, abordant la question du genre dans tous ses films et en renouvelant constamment son point de vue formel (de l’autofiction qu’est J’ai tué ma mère au thriller Tom à la ferme en passant par le mélo de Laurence Anyways).

Antoine Olivier Pilon dans Mommy de Xavier Dolan.

Question de genre


Mommy, pour la première fois, marque une rupture. Finie l’autofiction, Xavier Dolan sort du champ (comme acteur) et ouvre son cinéma à une approche plus universelle, mélangeant les tubes de Céline Dion ou d’Andrea Bocelli avec le même goût que pour Lana del Rey ou Craig Armstrong…Il n’a pourtant rien perdu de sa folie ni de sa singularité, débitant des lignes de dialogues hallucinantes , souvent hilarantes, au bord de l’incompréhension, dans des relations incestueuses aussi tumultueuses que romantiques, en acadien SVP. Le format du film est inédit, 1.25, avec une image quasi-verticale composant un cadre on ne peut plus pictural et enfermant chaque personnage dans sa solitude. L’image s’élargira dans une des plus belles séquences du film en même temps que le cœur de cet ado dérangé que sa mère ne sait plus comment garder avec elle pour ne pas le faire interner.

Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval et Xavier Dolan sur le tournage de Mommy.

Le souffle au coeur

Cette version grunge et ultra-contemporaine du Souffle au cœur de Louis Malle donne lieu à un flash-forward d’anthologie, dans lequel la mère imagine l’avenir bien rangé de son fils tel qu’il ne le connaîtra jamais, avant un dur retour à la réalité… Toujours aussi inspiré visuellement, Dolan sait aussi travailler la temporalité, après avoir tenu son film dans un dialogue à trois sidérant (le personnage de la voisine jouée par Suzanne Clément est tout aussi impressionnant que celui de cette mère borderline interprétée par Anne Dorval, actrice démentielle). Quel cinéaste est aujourd’hui capable de faire vivre à l’écran des émotions aussi fortes en leur conférant une telle vitalité formelle ? Plus Dolan malheureusement. espérons que ça reviendra. A la fois mélo, comédie hystérique, tragédie musicale et hymne à l’amour filial, Mommy déborde de tous côtés, jusqu’à ne pas savoir comment finir, ce qui ne le rend que plus attachant. Une pure merveille, à (re)découvrir gratuitement en replay sur France TV.

Mommy de Xavier Dolan (2014, Qué, 2h19) avec Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément… Gratuit en streaming sur France TV.