C’est beau, un spectacle qui crée des images qu’on ne voit nulle part ailleurs, et dont on sait qu’elles vont nous accompagner longtemps. Aurélien Bory a laissé maturer Invisibili, créé lors d’une résidence au théâtre de Palerme en 2023, jusqu’à en garder un souffle continu de poésie sur un un peu plus d’une heure.

Faire danser la peinture

Le souffle continu du saxophone du jazz man Gianni Gebbia qu’on retrouve sur scène, et qu’Aurélien Bory avait découvert là-bas, sur la scène palermitaine. Le souffle surtout de cette fresque d’humanité qu’est Le Triomphe de la mort, peinture anonyme du Quattrocento qui peint notre monde face à ses fléaux, et qu’Aurélien Bory a reproduit sur scène, sur un rideau grandeur nature de 6m par 6m, traversé par les interprètes à chaque entrée sur scène.

Ni pathos ni misérabilisme, le chorégraphe-scénographe déplie et déploie ces témoins de notre vie passées jusqu’à les faire danser en magicien du plateau. Personnage principal, la toile emporte tout, et les figures des danseuses et du danseur se conjuguent avec les personnages du tableau, jusqu’à se confondre avec elles, comme une communion des vivants et des morts. Premier moment de grâce : le porter d’une danseuse par le gigantesque plissé de la toile, recroquevillée en elle, comme si elle était emportée par les esprits du tableau.

Invisibili, une danseuse dans la toile. (photos Rosellina Garbo)

D’Aurélien Bory à Pina Bausch

Des esprits qu’Aurélien Bory va faire renaître en faisant vibrer sur la scène les chaises de Pina Bausch en hommage à son Palermo Palermo, créé dans le même théâtre Biondo en Sicile. Comme toujours chez Aurélien Bory, la chorégraphie vit des espaces et des traversées « invisibles », dans un spectacle on ne peut plus singulier, sans temps mort mais qui prend le temps d’être vivant, en rendant sans cesse hommage aux autres arts qui font notre humanité.

Chris Obehi, prêtre puis migrant.

Les personnages s’animent comme ce prêtre qui sort de la toile ou la danseuse qui fait jouer la mandoline qu’on n’avait pas encore vue dans le détail du tableau. L’Hallelujah de Leonard Cohen dans la voix et sous les doigts de Chris Obehi est repris en choeur par les danseuses comme un chant de consolation. Avant qu’il ne danse en solitaire avec un canot de sauvetage plus grand que lui, englouti par le rideau géant de la toile comme si la mer l’avait emporté.

Il n’y a pas la moindre lourdeur dans cette gravité qui vient répondre en écho à la peinture de temps anciens par la création d’une oeuvre vivante d’aujourd’hui. Qu’une poésie de la compassion, sublimée par une traversée des esthétiques, le temps d’un spectacle.

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