Quelques admi­ra­teurs décla­rés de son œuvre sont plus connus que le peintre lui-même, comme François Mitter­rand ou… Johnny Depp. Robert Guinan (1934–2016), même s’il est exposé au Met à New York ou au Centre Pompi­dou, reste un illustre méconnu. L’ex­po­si­tion en cours au Musée des Beaux-arts montre pour­tant que ce peintre de Chicago a toute sa place dans l’his­toire améri­caine. Le gale­riste lyon­nais Paul Gauzit avait eu l’œil en l’ex­po­sant en 1976 dans sa gale­rie Le Lutrin.

Portrait de Nelly Breda par Robert Guinan. (photo Lyon MBA Martial Coude­rette)

Le musée des Beaux arts de Lyon a eu la bonne idée d’ac­qué­rir chez lui en 1977 le Portrait de Nelly Breda, repré­sen­tant une femme noire dans une pièce au décor modeste qui pour­rait être une chambre d’hô­tel. Elle semble rési­gnée, sinon anéan­tie, écra­sée par la couleur bleue de sa robe et l’orange du couvre-lit. Ce qui pour­rait passer pour un sujet drama­tique reste paisible. Éton­nam­ment, par hasard, la carte postale de cette œuvre, venue d’on ne sait où, a servi long­temps de marque-page à l’au­teur de ses lignes qui ne connais­sait d’au­cune façon l’ar­tis­te… L’image est fasci­nante. On a du mal à s’en défaire. C’est tout à fait l’im­pres­sion que laisse cette expo­si­tion.

Ankara 1956, un bordel. (photo Jean-Louis Losi)

L’Amé­rique des noirs et des pros­ti­tuées, de l’in­té­rieur, sono­ri­sée au jazz

Robert Guinan marque dura­ble­ment les esprits. On suppose que le choix de s’ex­pri­mer par la pein­ture figu­ra­tive alors que ses contem­po­rains, dans les années 60, ne juraient que par l’abs­trait et le concep­tuel, ne l’a pas aidé à décol­ler : « Il fallait faire de l’art abstrait pour ne pas passer pour un rétro­grade ». Mais, surtout le choix de ses sujets, l’Amé­rique des noirs, des pros­ti­tuées, des drogués, des bars enfu­més, ne présen­tait pas un miroir accep­table à une société dési­rant remi­ser les «  losers  » sous le tapis.

Il faut aussi rendre grâce au gale­riste Albert Loeb qui a entamé une colla­bo­ra­tion fruc­tueuse avec lui en ache­tant des œuvres entre­po­sées au fond du jardin, qu’il s’ap­prê­tait à jeter « par manque de place ». Robert Guinan avait eu une illu­mi­na­tion en décou­vrant Toulouse-Lautrec en 1951 dans Moulin rouge de John Huston (très bon choix). Il a suivi une veine simi­laire, dans une sorte d’in­fra­mé­rique noire sono­ri­sée au jazz : « je buvais du whisky et fumais des ciga­rettes, j’étais bien  ».

Le Bohe­mian Club Bar par Robert Guinan, 1977. (dépôt du Centre Natio­nal des Arts plas­tiques au MBA Lyon)

Couleurs fanées et appé­tence pour les reflets

Agis­sant comme un chas­seur, il a croqué, dans la pénombre des scènes de bar, la soli­tude, le temps qui passe sans espoir au sortir du comp­toir. De retour chez lui, il les trans­for­maient en toiles peintes à l’acry­lique, employant souvent des couleurs fanées. Il faut s’ap­pro­cher des œuvres pour appré­cier la tech­nique, une appé­tence pour les reflets, des collages précis appor­tant un léger relief, une façon éton­nante de malaxer les visages (un peu à la Fran­cis Bacon) sans trahir l’ex­pres­sion.

On pour­rait penser aux ambiances d’Edward Hopper, mais contrai­re­ment à lui, il connais­sait ses modèles comme le pianiste et ami Émile Breda (Nelly est sa mère) qui lui a servi de viatique dans les bas fond de Chicago. Des paysages urbains entre chien et loup, un surpre­nant polyp­tyque en hommage à Jean Genet complètent la rétros­pec­tive d’un artiste rare qu’il faut abso­lu­ment visi­ter.

Robert Guinan, peintre de Chicago. En marge du rêve améri­cain. Jusqu’au 27 août 2023 au Musée des Beaux-Arts, Lyon 1er. Du mercredi au lundi de 10h à 18h, le vendredi de 10h30 à 18h. 8 €. Le musée est excep­tion­nel­le­ment gratuit pendant la cani­cule jusqu’au samedi 26 août inclus.