Jusqu’à cette expo­si­tion monu­men­tale et pas du tout décré­pite, il était facile d’avoir une idée assez arrê­tée de l’uti­li­sa­tion de la ruine dans l’art. Elle pouvait se limi­ter, pour faire vite, à sa vision roman­tique. Victor Hugo, Chateau­briand, pour la litté­ra­ture, Pierre-Antoine Patel (1648–1707) ou Hubert Robert (1733–1808) pour la pein­ture, n’ont aucun mal à faire parta­ger leur fasci­na­tion pour cette esthé­tique char­gée de mystères, liée à la rêve­rie et au temps qui passe et au mythe gréco- romain.

Il est plus évident de médi­ter devant le théâtre antique de Four­vière que devant le nouveau stade de l’OL. D’ailleurs dès l’en­trée de l’ex­po­si­tion, qui égrène sur plusieurs étages une sélec­tion de plus de 300 œuvres (le Musée Saint-Pierre a sorti l’ar­tille­rie), on ressent cette drôle de sensa­tion à la fois douce et cruelle, entre nostal­gie et poésie, face à une Vue imagi­naire de la grande gale­rie du Louvre en ruines de Hubert Robert, datée de 1796. C’est d’ailleurs le Louvre, toujours entier aux dernières nouvelles et pas du tout rancu­nier, qui est proprié­taire de cette œuvre funeste du surnommé « Robert des ruines ».

Vue imagi­naire de la grande gale­rie du Louvre, Hubert Robert, 1796. (Paris, musée du Louvre, RMN-Grand Palais photo Benoît Touchard)

Alain Schnapp, l’es­prit Star Trek de la ruine

Il y a tout ce qu’on aime dans une balade à Venise : une archi­tec­ture fine rattra­pée par la nature qui la boulotte et la sensa­tion de ce temps beau­coup plus fort que nous, comme lorsque Charl­ton Heston découvre le vestige de la Statue de la Liberté dans La Planète des singes. Mais voilà, l’ex­po­si­tion s’ap­puie sur le travail de l’his­to­rien et archéo­logue Alain Schnapp, auteur du pavé de réfé­rence : L’His­toire univer­selle des ruines – Des origines aux Lumières – de 722 pages 2,4 kg.

L’uni­ver­si­taire explore les limites des ultimes fron­tières du sujet en pur esprit Star Trek. Voilà pourquoi le début de la visite est assez desta­bi­li­sant (et c’est volon­taire), une œuvre contem­po­raine en vidéo (scène trou­blante de la Cubaine Ana Mendieta) côtoie un fossile de turi­telle (mollusque) de 40 000 ans et des objets sculp­tés, dits churin­gas, issus des popu­la­tions tradi­tion­nelles austra­liennes.

L’ex­tra­or­di­naire relief avec scène buco­lique de l’em­pire romain, Ier siècle (Staat­liche Anti­ken­samm­lun­gen und Glyp­to­thek (@State Collec­tion of Antiqui­ties and Glyp­to­thek Munich, photo Renate Kühling)

La ruine, ce qu’il reste de quelque chose

Car, si on défi­nit la ruine par « ce qu’il reste de quelque chose », elle couvre un large champ de terri­toires et d’objets, orga­ni­sés en théma­tiques : la mémoire et l’ou­bli, la tension entre la nature et la culture, le lien entre le maté­riel et l’im­ma­té­riel, la confron­ta­tion entre présent et futur… Au départ, on a la sensa­tion que tant de jus de cerveau répandu pour­rait faire déra­per.

Mais une fois la part archéo­lo­gique un peu aride dépas­sée, le sujet dont on a tiré l’élas­tique du slip théo­rique au maxi­mum devient passion­nant, d’au­tant qu’on croise éclec­tisme et juxta­po­si­tions inso­lites de belles œuvres (le musée a même réussi à caser la star du lieu, La Fuite en Égypte de Nico­las Pous­sin).

La construc­tion de la Tour de Babel par Hendrick III Van Klee, vers 1585. (Fonda­tion Custo­dia, collect­tion Frits Lugt, Paris)

Dernière œuvre magni­fique de Khaled Dawa, réfu­gié en France

D’une fresque romaine (elle-même en ruine mais sublime) à Eva Jospin en passant par Chirico, Dali, etc., la ruine n’est pas que lente déliques­cence, miroir de notre fini­tude, elle est aussi la consé­quence des guerres et des bombes. La dernière œuvre est une « maquette » (en réalité plutôt un souve­nir recons­truit) du quar­tier défoncé par les combats dans lequel vivait le Syrien Khaled Dawa, réfu­gié en France. « Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes, tout s’anéan­tit, tout périt, tout passe  » disait Dide­rot. Consul­tez le site du musée, de nombreuses acti­vi­tés sont orga­ni­sées autour de ces ruines recons­truites.

Merci d’avoir lu cet article ! Si vous avez un peu de temps, nous aime­­rions avoir votre avis pour nous amélio­­rer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anony­­me­­ment à ce ques­­tion­­naire ou nous envoyer un email à redac­tion@exit­mag.fr. Merci beau­­coup !