C’est le bâtiment le plus passionnant de Lyon, et l’un des plus anciens. Tel qu’on le connaît actuellement, le Grand Hôtel-Dieu date de la fin du XIIe siècle. Il y avait bien déjà eu, du temps des Francs, au Ve siècle, un hôpital dans le quartier Saint-Paul. Mais ce sont les frères Pontifes qui vont être les premiers d’une longue série de confréries à édifier un lieu de soins au cœur de la ville, un peu en retrait du pont. Il s’agit alors d’une aumônerie d’une douzaine de lits destinée à soigner les voyageurs et les pèlerins, à l’emplacement de la Chapelle actuelle.

Quand l’Hôtel-Dieu était l’Hôpital du Pont Saint-Esprit

Peinture retrouvée dans les fouilles de l’Hôtel Dieu.

Cette baraque modeste s’appelle alors l’Hôpital du Pont du Rhône ou du Pont Saint-Esprit, selon le degré de croyance. Mais à peine érigé, patatras ! C’est l’époque (en 1185!) où l’on avait construit à son emplacement sur le Rhône un pont en bois pour relier la ville à la route de Vienne, celle qui arrive encore jusqu’au quartier actuel de la Guillotière. Il s’agissait probablement d’un simple empontement prolongé par un bac à trailles. Toujours est-il que moins de cinq ans plus tard, en 1190, le pont s’écroule au passage de Richard Cœur de Lion, en route pour les Croisades ! Les infatigables frères Pontifes le reconstruisent alors un peu plus haut, à l’emplacement actuel du pont de la Guillotière. Cette fois, les fleuves incisent, et les berges du Rhône sont stables. Et si le Rhône est plus imposant et plus tumultueux que la Saône, il n’est pas non plus infranchissable, d’une largeur n’excédant pas 200m. Il tiendra au moins jusqu’en 1220.

L’Hôtel-Dieu de pont en pont

L’Hôtel Dieu au XVIe siècle.

Une nouvelle concession débute en 1226, pas tant à l’emplacement de l’actuel pont de la Guillotière, mais plutôt au niveau de celui de l’Université. Cet autre pont un peu plus en aval de l’actuel pont de la Guillotière existera au XIIIe siècle. Construit dans sa forme définitive de 1310 à 1320, plus lourd que celui d’Avignon, le pont du Rhône, futur pont de la Guillotière cette fois, constitué de pierres pour un tiers seulement, comprend huit arches. Le bois est renforcé par des tirants de fers, et devant les aléas climatiques, il est régulièrement reconstruit partiellement de 1414 à 1500. Les moines d’Ainay, au début du XIVe, aident à traverser quand le pont est défaillant. Mais la force des rames ne suffit pas et un cordage de traillons mobiles est tendu sur le fleuve.

L’Hôtel-Dieu « Notre-Dame de la Pitié »

Photo : BM Lyon.

Ce dispositif fonctionnera jusqu’au XVIe siècle. Pendant ce temps, les frères ont aussi reconstruit leur petit hôpital. L’ancêtre de l’Hôtel Dieu trouve alors sa place définitive et va faire l’objet de réaménagements successifs, d’abord confiés aux Cisterciens en 1308 puis aux Échevins en 1334. Ces derniers seront les premiers à embaucher un médecin au XIVe siècle pour ne plus laisser les malades entre les mains divines à attendre la visitation… C’est au début du XVIe siècle que l’Hôpital digne de ce nom s’appellera officiellement l’Hôtel Dieu de Notre-Dame de la Pitié. Et en novembre 1532, c’est un certain François Rabelais, auteur de Gargantua et créateur de Panurge, qui sera nommé médecin… Il fera beaucoup pour la renommée du lieu mais, indiscipliné, sera congédié au bout de deux ans seulement.

L’Hôtel-Dieu en 5 dates :

L’Hôtel Dieu vu du ciel. (Asylum)

1. Haut Moyen-Âge : L’Hôtel Dieu n’est que le deuxième hôpital de la ville

L’Hôtel Dieu n’est pas le premier hôpital de Lyon. Le tout premier vit le jour du temps des Francs et de Childebert Ier, vers l’an 545, en bord de Saône, dans l’actuel quartier Saint-Paul. C’est sans doute le premier hôpital français.

2. XIIe siècle : L’hôtel Dieu et le Pont d’Avignon, même combat !

Le frères Pontifes qui sont les premiers à avoir construit les bases de l’Hôtel Dieu à la fin du XIIe siècle, sous un pont de bois, sont aussi les constructeurs du célèbre Pont d’Avignon dans le Vaucluse.

3. XII-XVIe : quand l’Hôtel-Dieu n’était pas un hôpital

Avant d’accueillir des malades, l’Hôtel-Dieu est, à sa création au XIIe siècle, un refuge pour les voyageurs, les pauvres et les pèlerins. Le bâtiment se présente alors sous la forme d’une grande salle longue de 25 mètres, dotée d’une chapelle et bordée par un cimetière et des jardins. Ce n’est qu’au début du XIVe siècle que ce que l’on appelle « l’hôpital du Pont-du-Rhône » commence à recevoir ses premiers malades. Ce sont d’abord des moines qui se chargent de prodiguer les soins. La première trace de la présence d’un médecin remonte à 1434 : un certain Monsieur Couras visitait alors les malades deux fois par semaine.

4. 1507 : les premiers malades arrivent

Au début du XVIe siècle, l’hôpital prend le nom d’Hôtel-Dieu de Notre-Dame de Pitié du Pont du Rhône. À partir de 1507, il reçoit tous types de malades, mais aussi les femmes enceintes et les enfants abandonnés. Quelques années plus tard, l’hôpital commence à se structurer avec la nomination d’un médecin « à plein-temps », ainsi que d’un apothicaire et d’un barbier pour seconder les sœurs hospitalières qui se dévouent corps et âme pour le bon fonctionnement de l’Hôtel-Dieu.

5. 1579 : l’hôpital fait aussi boucherie !

Comment récolter des fonds pour l’Hôtel-Dieu qui en a bien besoin ? Au milieu du XVIe, les consuls, alors en charge de l’hôpital, ont une grande idée : construire la quatrième plus grande boucherie de Lyon juste au nord du bâtiment, au niveau de l’actuelle rue Childebert. Une soixantaine d’emplacements sont alors loués le long d’une allée centrale. Tout est fait sur place, y compris l’abattage des animaux… À deux pas des malades. Si la solution permet de rapporter quelques deniers, ce n’est pas l’idéal au niveau de l’hygiène. Et c’est justement parce que la grande boucherie de l’hôpital est considérée comme « insalubre » qu’elle sera remplacée par une galerie marchande au XIXe siècle. Comme quoi l’Hôtel Dieu avait depuis longtemps accueilli des magasins commerciaux…

Prochain épisode de notre série sur l’Histoire de Lyon : Le Vieux-Lyon et la Renaissance.

Fouilles retrouvées à l’Hôtel-Dieu.