Vous aviez monté La Seconde Surprise de l’amour il y a trois ans dans un spectacle en état de grâce. Est-ce pour cette raison que vous revenez à Marivaux avec Les Fausses Confidences ?

Alain Françon : « Oui, cette production est restée merveilleuse pour moi, aussi du fait de circonstances personnelles. Je venais d’être agressé au cutter, je sortais de l’hôpital, et c’était en quelque sorte une thérapie par l’amour pour moi, en plus de la joie de retrouver le théâtre. Auparavant, je voulais déjà monter Les Fausses Confidences, mais Luc Bondy venait de mettre en scène la pièce avec Isabelle Huppert et Louis Garrel, c’était trop proche. J’y reviens donc aujourd’hui.

Suzanne de Baecque dans La Seconde Surprise de l’amour, mise en scène Alain Françon. (photo Jean-Louis Fernandez)

Avec la même approche ?

Pas tout à fait. C’est la dernière pièce en trois actes de Marivaux et entretemps, il a écrit deux romans extraordinaires, Le Paysan parvenu et La Vie de Marianne, qui pourrait d’ailleurs faire un film génial… On sent cette nouvelle dimension romanesque dans son théâtre. J’en ai tenu compte en créant un espace scénique plus composite, avec trois lieux qui s’ajoutent comme une sorte d’espace intermédiaire.

Chez Marivaux, l’amour propre combat l’amour, et l’homme et la femme sont toujours surpris l’un de l’autre.

Alain Françon

Y a-t-il une joie particulière qui vous fait revenir à Marivaux ?

Alain Françon : « Oui. Chez Marivaux, l’amour propre combat l’amour et les domestiques ont souvent un langage amoureux plus facile que les bourgeois par trop civilisés. Il y a toujours l’être et le paraître, des relations sociales très fortes, mais peu de psychologie. Les Fausses Confidences était très à la mode au moment de la Révolution française. Il était même jugé « obscène » à l’époque parce qu’une femme préfère aimer un intendant que de se marier avec un noble. L’homme et la femme sont toujours surpris l’un de l’autre chez Marivaux, mais sa joie est féministe !

Georgia Scallet dans La Seconde Surprise de l’amour vu par Alain Françon. (photo Jean-Louis Fernandez)

Est-ce particulièrement difficile de mettre en scène le vrai et le faux chez Marivaux ?

Bien sûr ! J’avais monté La Double Inconstance il y a des lustres et c’était très mauvais ! Ce n’est pas une affaire de naturel ou de naïveté, mais il faut trouver l’évidence pour mettre en scène ces relations de façon simple. Sans jouer les personnages comme des poissons morts, des « Martine » comme on dit entre nous, « Martine fait ceci, Martine est là… ». Je crois que ça passe d’abord par la langue. Jouer vite, ça compte, avoir le scénario dans la tête pour chaque acteur, c’est indispensable. L’intensité c’est plus complexe à trouver, surtout en français, qui n’est pas une langue facile, avec peu d’aspérités. Je donne juste quelques indications d’intensité aux acteurs, mais ça leur appartient plus qu’à moi.

Il faut trouver l’évidence pour mettre en scène le scénario chez Marivaux, sans avoir l’impression de jouer comme des poissons morts.

Alain Françon

Vous avez mis en scène Vincent Dedienne dans Un Chapeau de paille d’Italie. Travaillez-vous indifféremment pour le théâtre public ou le théâtre privé ?

Alain Françon : Non. J’ai dirigé avant tout des théâtres publics [comme le Théâtre du 8e à Lyon, NDLR], et il existe des différences fondamentales de production entre les deux. Les acteurs par exemple sont payés à l’heure dans le privé, alors qu’ils sont mensualisés dans le public. C’est grâce au directeur du théâtre Saint-Martin et à son ouverture d’esprit que j’ai eu la chance d’y faire des mises en scène [Jean-Robert Charrier, NDLR]. Il m’avait proposé de monter Thomas Bernhard, c’était complètement inattendu pour moi, et tellement rare dans le privé. Il vient de prendre la direction des Bouffes parisiens, et je vais y mettre en scène, en septembre 2025, la seule pièce de Claude Simon, La Séparation, jamais montée, avec Léa Drucker et Catherine Hiegel.

Il y a une allusion à l’Opéra dans Les Fausses Confidences. Pourriez-vous faire des mises en scène lyriques ?

Alain Françon : « J’avais monté La Voix humaine avec Grace Jones, il y a des lustres au Châtelet. Ça avait été un triomphe, mais moi j’avais honte ! Elle apprenait le texte en français de façon phonétique et son manager verrouillait tout travail possible. Et puis j’avais le sentiment qu’à l’opéra on nous demandait surtout un travail décoratif… En revanche, j’ai pu monter Le Couronnement de Poppée pour l’Académie de l’Opéra de Paris et là, j’ai trouvé des jeunes chanteurs absolument extraordinaires, d’un talent incroyable et complètement prêts au théâtre. C’était un grand bonheur. Alors pourquoi pas ! »

Vous avez joué le père de Maïwenn au cinéma dans son film ADN, un électeur RN raciste… Ça vous faisait quoi ?

C’était un peu monstrueux pour moi en termes de conduite dans une fiction… C’était d’abord son père à elle. ADN était un film autobiographique et je pense qu’elle réglait des comptes très précis. On improvisait beaucoup autour d’idées de départ, mais je devais dire que j’avais voté RN et j’ai dû mettre quatre heures à le dire ! Je n’y arrivais pas… Je faisais un vrai blocage, mais c’était très drôle ! »

Les Fausses Confidences, de Marivaux, mise en scène Alain Françon. Du mercredi 6 au dimanche 17 novembre au théâtre des Célestins, Lyon 2e. De 5 à 40 €.

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