C’est un grand complexé, Kaiser Karl. Un grand solitaire qui en pince pour les beaux garçons mais ne veut pas qu’on le touche, et ne sort de la discipline de travail quotidienne qu’il s’impose par des répliques qui fusent avec un amour massacrant.

Un complexé de la mode aussi, qui circule en Rolls, mais n’envisage que le prêt-à-porter, dans l’ombre de la haute couture, incarnée par son ancien amant, Yves Saint-Laurent. C’est Jacques de Bascher, son futur amant, qui va réveiller ce faux « anonyme habillé comme Louis XIV » et l’encourager à s’assumer, dans son travail comme dans sa vie privée. Autant que possible…

Le jeune Karl Lagerfeld de 1972 à 1982

Les six épisodes de cette première saison de Becoming Karl Lagerfeld, constamment passionnants, s’intéressent à la première décennie (de 1972 à 1982) de celui qui finira par devenir la Kaiser de Chanel, accession à la marque sur laquelle se termine le dernier épisode. Et avant tout à l’intimité d’un homme profondément solitaire et bienveillant, bourré d’humour et très lucide sur les enjeux de pouvoir et d’argent. « C’est toi qui as eu raison de choisir le prêt-à-porter, tu t’amuses tandis que moi je suis esclave de la renommée » lui dira Yves Saint-Laurent.

La relation entre les deux anciens amants gardant une mutuelle estime au fil du temps au milieu des rivalités de leur milieu est magnifique. Ils sont les deux pendants d’un même sacerdoce : « génie cliniquement malade » pour Saint-Laurent, éternel désespéré, frustration laborieuse pour l’autre qui ne jure que par le plaisir des autres en se le refusant à lui-même.

Saint-Laurent et Lagerfeld, la bataille de l’amour et de la mode

Théodore Pellerin et Arnaud Valois, De Bascher et Saint-Laurent.

Daniel Brühl est exceptionnel pour trahir l’humour et l’amour sous le masque du Kaiser dont on devine les humeurs du bout de ses lèvres, et le scénario adapté du livre de Raphaëlle Bacqué dresse tout un ballet des victimes consentantes de la mode, de la querelle entre anciens et modernes du style aux calculs assez odieux d’un certain Pierre Bergé.

Mais Becoming Karl Lagerfeld est avant tout un portrait intime, et une histoire d’amour… impossible, mais bien réelle. Le sexe et l’amour ne se rejoignent jamais. Yves Saint-Laurent a beaucoup usé du premier, tandis qu’on découvre un Karl Lagerfeld finalement assez fleur bleue sous la cuirasse, moine-soldat d’une ancienne famille de nazis, ne fumant pas, ne buvant pas, ne se droguant pas et… baisant à peine.

Daniel Brühl et Théodore Pellerin, amour unique

Daniel Brühl et Théodore Pellerin (Disney +).

La relation avec Jacques de Bascher (déjà largement évoquée au cinéma, Louis Garrel l’incarnait dans le Saint-Laurent de Bonello), en est d’autant plus belle. Le portrait de ce dandy dans un monde trop grand pour lui, sincèrement amoureux de Karl tout en se brûlant les ailes de papillon de nuit, est l’autre grande réussite de ce Becoming Karl Lagerfeld, qui aurait pu tout aussi bien s’appeler… « Not Becoming Jacques de Bascher » ! Avec une révélation : Théodore Pellerin.

Complexe, fragile, fidèle malgré tout, leur relation est constamment crédible au milieu des péripéties de la mode formidablement orchestrées. On s’attache à cet amour unique, qui ne cesse de durer sans jamais vraiment pouvoir se vivre. Jacques de Bascher est mort en 1989. La série s’arrête en 1981. Espérons que ce Becoming Karl Lagerfeld prolonge encore le plaisir, même frustrant, pour une deuxième saison… Une des meilleurs séries du moment, qui nous rappelle la grande réussite de Fellow Travelers.

Becoming Karl Lagerfeld de Jennifer Have et Isaure Pisani-Ferry, réalisation Jérôme Salle (avec Audrey Estrougo). Avec Daniel Brühl (Karl Lagerfeld), Théodore Pellerin (Jacques de Bascher), Arnaud Valois (Yves Saint-Laurent), Alex Lutz (Pierre Bergé), Agnès Jaoui (Gabrielle Aghion)… Mini-série de 6 épisodes de 40 à 50 mn, disponible sur Disney +.

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