Ce n’est pas tous les jours qu’on voit une femme se raser à l’écran. Surtout la barbe. Un peu comme si la belle et la bête ne faisaient plus qu’un… Pour son deuxième film après La Danseuse, Stéphanie Di Giusto s’inspire non pas d’une histoire vraie, mais des photos d’une femme à barbe du début du XXe siècle, pour en faire un personnage de fiction d’aujourd’hui, Rosalie.

Le mariage de Rosalie et Abel.

C’est toute la limite de ce film au sujet troublant, qui a voulu garder le vernis on ne peut plus académique et opulent du début du XXe siècle, sans prétendre filmer la réalité d’une époque. S’en suit une distension permanente entre des dialogues modernes sur une musique d’ascenseur néo-classique, et un contexte social d’un autre temps (mariage arrangé, travail de la terre d’antan et vieux costumes).

Une pléthore de seconds rôles vient délayer inutilement le récit de l’intimité au cœur du film, de Juliette Armanet à Anna Biolay venant pousser la chansonnette autour de son père assez convaincant en bourgeois gardien des traditions : « Peut-être que si vous retrouviez une apparence de femme, tout rentrerait dans l’ordre« , dit Benjamin Biolay à cette épouse affranchie qui compte assumer ce qu’elle est aux yeux de tous.

Nadia Tereszkiewicz, femme à barbe troublante

C’est d’autant plus dommage que Rosalie devient beaucoup plus troublant et touche enfin son sujet lorsqu’il se concentre sur les corps. L’évocation du « dérèglement hormonal » et des « kistes aux ovaires » rend enfin ce scandale pileux bien réel, le film osant enfin un aspect clinique, qui faisait par exemple toute la réussite de L’Evénement d’Audrey Diwan, lui aussi sur une féminité problématique d’époque.

Il est d’ailleurs assez fascinant de voir la façon dont une barbe peut changer le visage et le regard de Nadia Tereszkiewicz, extraordinaire de sensualité mêlée des deux sexes. Mais c’est avant tout à travers le regard d’Abel campé par un Benoît Magimel d’exception qu’on capte l’émotion troublante de cette femme à barbe.

Magimel, le plus grand acteur français actuel

Tour à tour compréhensif, atteint dans sa virilité jusqu’à éprouver une véritable répulsion, refusant d’assumer le regard des autres avant l’acceptation amoureuse, Magimel réussit à lui tout seul tout le trajet sensuel que le film n’aura jamais vraiment osé, trop encombré de conventions inutiles. Jusqu’au mélo romantisé final, d’autant plus gênant qu’il n’a jamais existé…

Le dérèglement qui frappe Rosalie ne risque pas de contaminer le spectateur tant cette histoire de femme à barbe paraît balisée, lissant toute aspérité. Un comble, même si le film mérite malgré tout le détour pour l’originalité de son sujet et son beau duo d’acteurs.

Rosalie de Stéphanie Di Giusto (Fr, 1h55) avec Benoît Magimel, Nadia Tereszkiewicz, Benjamin Biolay, Guillaume Gouix, Lucas Englander… Sortie le 10 avril. Lire notre entretien avec Nadia Tereszkewicz et Benoît Magimel.

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