Dans ce mariage avec une femme à barbe reje­tée par la société, c’est peut-être vous le plus vulné­rable, Benoît. C’est ce qui vous inté­res­sait ?

Benoît Magi­mel : « Oui, ce sont les contra­dic­tions qui m’in­té­ressent au cinéma. Derrière une fragi­lité, il y a toujours de la force, et elle est sans doute plus forte que lui. C’est un homme brisé. Il a une cara­pace, une armure, il sort de la guerre. Il a quelque chose d’anéanti qui me touchait beau­coup. Je n’ai pas connu la guerre, mais j’avais Voyage au bout de l’en­fer en mémoire. Quand on revient aussi abîmé d’avoir été confronté à l’hor­reur, personne ne peut comprendre ce trau­ma­tisme.

C’est pour ça que c’est quelqu’un qui s’en­ferme. Abel reste dans son tour­ment, même quand il peint. Il a une vision de lui-même qui n’est pas très belle, il déteste ce qu’il est devenu. Mais c’est pour ça qu’il est indul­gent avec ceux qui peuvent avoir une diffé­rence quel­conque. Il est chari­table. Il reste préve­nant, atten­tif.

« Il y a quelque chose d’anéanti dans ce person­nage qui me touchait beau­coup. »

Benoît Magi­mel

Nadia Teresz­kie­wicz : En plus, Rosa­lie est forte et intru­sive face à lui, elle lui ment et elle s’im­pose. C’est une histoire d’amour à fronts renver­sés. Elle est hors normes, mais elle est aussi très actuelle dans son combat pour ne pas se cacher, s’af­fran­chir et ne pas être dépen­dante des codes de la société. Leur compli­cité naît de leur fragi­lité réci­proque. Elle ne peut pas avoir lieu au départ. Elle survient indé­pen­dam­ment du fait qu’ils soient forcés d’être mariés. Ils se surprennent chacun dans ce qu’ils ont de plus fragile.

Benoît Magi­mel : Ce qui le désarçonne le plus, c’est que Rosa­lie essaie de faire les choses pour lui ! Il n’ar­rive pas à la faire fuir, et il ne peut rien répondre à ça. (sourire)

Vous ne vous étiez pas vus avant le tour­nage pour garder le trouble de la rencontre ?

Nadia Teresz­kie­wicz : Oui, ne pas s’être vus avant et ne pas du tout connaître Benoît, ça a beau­coup joué. Il a gardé une forme de mystère et de sensi­bi­lité, ça aide beau­coup à jouer.

Benoît Magi­mel face à la femme à barbe, Rosa­lie.

Benoît Magi­mel : Il y a la prépa­ra­tion, mais c’est vrai que tour­ner dans l’ordre chro­no­lo­gique et décou­vrir les choses au fur et à mesure, c’est un grand confort pour nous parce qu’on ne brûle pas d’étapes. Chaque jour passant, on a une nouvelle écri­ture qui s’im­pose à nous-mêmes, en fonc­tion des décors et des situa­tions.

Fina­le­ment, on habite nos person­nages encore plus, on les connaît encore mieux. C’est vrai­ment un travail en mouve­ment qui ne s’ar­rête jamais, c’est vrai­ment précieux, on peut être beau­coup plus précis dans les émotions.

Il y a aussi un confort supplé­men­taire avec le numé­rique. La pelli­cule impo­sait une limite de temps de tour­nage. En numé­rique, on peut gâcher, on peut couper, recom­men­cer, ou lais­ser vivre les choses, rester dans l’ins­tant. Pour jouer, c’est vrai­ment formi­dable.

Les gestes qu’on a par exemple avec Benja­min Biolay à la fin n’étaient pas écrits. On peut se dire que ces deux-là ont été à l’école ensemble, que quelque chose les unit. Ça fait partie des évidences qui peuvent naître sur un tour­nage.

Nadia Teres­kie­wicz, femme à barbe.

Comment joue-t-on avec la barbe ?

Nadia Teres­kie­wicz : Je tenais abso­lu­ment à ce rôle, c’est un vrai destin. Mais le maquillage pouvait être haras­sant, heureu­se­ment sans postiche ce qui me permet­tait de garder un certain natu­rel. Notre image fait partie de notre métier en tant qu’ac­trice, mais comme j’avais vu La Danseuse, le film précé­dent de Stépha­nie, je savais que le person­nage reste­rait beau, même dans les moments les plus bruts. Ça m’a permis de m’aban­don­ner.

« C’est sans doute l’his­toire d’amour la plus diffi­cile que j’ai eu à jouer. »

Benoît Magi­mel

Et vous Benoît comment vous la regar­diez avec une barbe ?

Benoît Magi­mel : Je ne la regar­dais pas, c’est vrai, j’es­sayais de la fuir en perma­nence ! Comme Abel, j’ai mis beau­coup de temps à accep­ter cette barbe… C’est aussi pour ça que j’ai voulu jouer ce person­nage. Mais ce sont vrai­ment les actes de Rosa­lie qui sont le plus pertur­bants pour lui. C’est vrai­ment une histoire d’amour. Cette femme lui veut du bien en perma­nence et fait des choses concrètes pour ça.

Ses senti­ments sont à jour et ça le désta­bi­lise tota­le­ment. C’est ce qui lui pose le plus de diffi­culté. Et moi aussi, j’avais beau­coup de diffi­culté avec ça… C’est sans doute l’his­toire d’amour la plus diffi­cile que j’ai eu à jouer. Mais je n’aime pas trop avoir de point de vue sur ce que je fais, ce n’est que ma vision des choses. Chacun peut avoir la sien­ne… »

Rosa­lie de Stépha­nie Di Giusto (Fr, 1h55) avec Benoît Magi­mel, Nadia Teresz­kie­wicz, Benja­min Biolay, Guillaume Gouix, Lucas Englan­der… Sortie le 10 avril.

Benoît Magi­mel à la présen­ta­tion de Rosa­lie à Lyon le 11 mars 2024.

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