Votre personnage finit par verser une larme, seule en voiture, dès le premier plan d’Un silence. Comment s’est tournée la scène ?

Emmanuelle Devos :  » Ce n’était pas prévu, et ce n’était pas prévu que le plan soit si long. On tournait déjà depuis un certain temps, je savais que mon personnage allait au commissariat, et c’est vraiment quelque chose qui est monté comme ça. On a dû tourner une heure ou une heure et demie avec Joachim Lafosse et la caméra derrière. C’est un moment du tournage où j’étais vraiment dans l’histoire, je l’ai senti comme ça.

C’est vous qui avez créé ce moment ?

Oui. On était vraiment en osmose et c’est un moment tellement important de sa vie à cette femme. J’avais déjà compris beaucoup de choses d’elle, mais on découvre toujours de nouveaux aspects d’un personnage en tournant. On répète beaucoup avec Joachim, et assez librement. Ça s’est fait comme ça. Dans cette scène, on sent que la respiration arrive, même si c’est dans la douleur…

Vous êtes pratiquement de chaque plan du film. Est-ce votre rôle le plus écrasant ?

Oh oui ! Je n’ai pas commencé une seule scène sans avoir un poids sur le plexus. C’était en contradiction totale avec la joie que j’avais de travailler avec Joachim. Le travail était passionnant, heureusement, et j’étais vraiment très heureuse de retrouver cette maison tous les matins. En revanche, c’était très difficile d’entrer émotionnellement dans chaque scène.

A tel point qu’en général je sors des films en passant à autre chose et en étant très contente de retrouver ma vie. Là, j’étais tout aussi contente, mais un mois après, je me suis mise à perdre beaucoup mes cheveux… Ma coiffeuse me demandait si j’avais été stressée ! (rires) C’est là que le métier d’acteur peut être vraiment éreintant. Si moi je fais la différence avec mes rôles – je sais bien que ce n’est pas ma vie – le corps, lui, ne fait pas la différence…

Daniel Auteuil, acculé dans Un silence.

Sans dévoiler le secret familial, c’est vous qui portez le « silence » et toute l’ambiguïté du film…

Oui, elle est à la fois sous emprise et à la fois complice. Ce n’est pas la femme de Fourniret, mais je me suis toujours dit à propos des criminels que ces gens-là ne pouvaient pas agir seuls. Ça faisait vraiment des années que j’attendais un film comme celui-là. L’aveuglement intime existe tellement, y compris sur des choses beaucoup moins graves. On ne voit pas ce qui est très proche de nous.

D’avoir un passé avec Daniel [Auteuil, NDLR] comme partenaire depuis L’Adversaire m’a beaucoup aidé. J’imaginais très bien la relation de non-dit qui avait pu s’installer même si elle est diamétralement opposée à ce que je suis. Je tenais à la scène où son corps déborde au bord de la piscine quand elle dort et qu’elle se réveille en pleurant. Ça ne peut plus tenir.

« Toute la difficulté, c’est jouer sans se regarder jouer, en gardant ici cette naïveté des gens qui ne voient rien. »

EMMANUELLE DEVOS

Votre corps d’actrice déborde aussi. Vous avez un tempérament, une présence, même dans le drame, qui échappe au drame. C’est ce qui fait qu’on peut avoir de l’empathie pour un personnage aussi passif…

C’est toute la difficulté, particulièrement dans un personnage comme celui-là : il ne faut vraiment pas jouer en se regardant jouer ! Il faut plonger, et garder cette forme de naïveté des gens qui ne voient rien… La phrase la plus dure à dire pour moi, c’était au téléphone avec Damien Bonnard qui a gentiment accepté de faire la voix du frère et à qui je devais dire : « Mais ça va maintenant, tu vas bien, pourquoi tu veux absolument revenir là-dessus ? ». J’en riais presque tellement je trouvais dingue de sortir un truc pareil ! Ou quand elle demande à son fils pourquoi il ment alors qu’ils mentent tous… (rires) C’est un aveuglement permanent cette femme, c’était très particulier à jouer…

Les relations mère-fils adultes ne sont pas si courantes au cinéma, et vous avez tout de même une très belle relation avec lui, notamment lors d’une scène de danse sur du Michel Berger…

Oui, en plus j’adore Matthieu [Galoux, NDLR] qui est un être merveilleux, on s’entendait comme larrons en foire. Effectivement, il y a malgré tout une certaine douceur entre eux qui n’était pas dans le scénario. Après, elle l’arme quand même un peu pour aller tuer le père… Ça reste une tragédie grecque ! Mais j’aime beaucoup leur relation effectivement, elle est désespérante mais elle est quand même belle.

« Pour les drames, j’ai besoin d’un grand cinéaste. Sinon je préfère les comédies ! »

EMMANUELLE DEVOS

A la sortie des Parfums, vous nous disiez que vous en aviez marre des films tristes. Celui-ci est une magnifique exception mais gardez-vous un appétit pour la comédie ?

Mais oui ! Je viens de faire une comédie à l’anglaise avec Franck Dubosc qui va sortir le 6 décembre. [Noël joyeux, NDLR], avec Danielle Fichaud la Quebécoise d’Aline. Puis une autre comédie avec Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard [Pourquoi tu souris ? NDLR]. Pour les drames, j’ai besoin d’un grand cinéaste, sinon je n’y vais pas.

J’ai refusé une première fois Un silence. La première version était écrite du point de vue de l’homme, on avait déjà vu ça 600 fois… J’ai convaincu Joachim que c’est elle qu’il fallait comprendre pour comprendre ce drame. Et il a eu l’incroyable intelligence de réécrire. Je ne pouvais plus dire non ! »

Un silence de Joachim Lafosse (Fr-Bel, 1h38) avec Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil, Matthieu Galoux, Jeanne Cherhal, Louise Chevillotte… Sortie le 10 janvier.