« Vous ne me chan­gez pas du tout les idées« . Voilà ce que Yannick va repro­cher à un trio de comé­diens pas très inspi­rés en train de jouer Le Cocu dans un petit théâtre pari­sien. En s’ex­cu­sant d’in­ter­rompre leur repré­sen­ta­tion telle­ment il n’en peut plus. Mais il faut le comprendre : contrai­re­ment au couple d’in­vi­tés qui habite juste à côté, il vient de Melun et a payé sa place. Il est veilleur de nuit, a dû poser une jour­née de congé pour venir, et son temps est « précieux« . Tiens, d’ailleurs, il est venu seul…

Raphaël Quenard, en pleine inter­rup­tion de repré­sen­ta­tion.

Jusqu’au dernier plan d’un film en 1h07 chrono tourné en 6 jours, Quen­tin Dupieux ménage ses surprises (on en taira la plupart), et se paie même le luxe dans un film subti­le­ment écrit et mis en scène de nous faire mari­ner avec son Yannick au beau milieu du film, sans dialogues, comme si nous aussi on était « pris en otage« … le temps de la repré­sen­ta­tion. Car après 5 minutes de boule­vard pendable dans lequel Pio Marmaï éructe, c’est bien le public que Dupieux filme.

Ce public trop souvent impensé, du théâtre comme du cinéma français, qui paie sa place pour « passer une bonne soirée », mais à qui on demande d’être docile, de ne pas bouger ni d’al­ler pisser, mais d’ap­plau­dir d’autres que lui à la fin. Toutes ces choses qu’on ne voit jamais et qu’on va pouvoir voir en pleine face dans Yannick.

Pio Marmaï fait la leçon à Raphaël Quenard…

Raphaël Quenard de la trempe de Dewaere ou Depar­dieu

Pour ça, Dupieux a une arme impa­rable : ni Depar­dieu, Belmondo ou Dewaere mais un peu des trois la fois, il a Raphaël Quenard pour jouer son Yannick. Un « médiocre brillant » comme le réali­sa­teur l’ap­pelle, pas assez acti­viste et poli­tisé pour faire vrai­ment peur (au début), inclas­sable et émou­vant quand il surprend ses propres émotions jaillir en regar­dant les comé­diens sur scène.

On ne vous dire pas pourquoi… Avec la plus belle des naïve­tés, il s’étonne que l’au­teur metteur en scène ne soit pas là à chaque repré­sen­ta­tion pour défendre sa pièce, alors qu’au restau­rant, on appelle le chef quand le steak n’est pas bon…

Pio Marmaï, génial vrai-faux mauvais comé­dien infa­tué.

Yannick, le film le plus poli­tique de Quen­tin Dupieux

La satire est hila­rante et assez inédite dans le cinéma français, impi­toyable quand elle croque les égos de ses artistes moyens très moyens qui estiment jouir d’un statut très à part, et n’aiment le public que lorsqu’il les consi­dère plus que lui-même, bien sage­ment assis à les flat­ter en payant sa place. C’est sans doute ce qui fera que le film n’ob­tien­dra pas de César, mais Raphaël Quenard, oui, et tant mieux.

Un César pour Yannick

Mais il n’y a pas la moindre aigreur ni le moindre discours social plaqué dans ce petit bijou qui dépasse l’exer­cice de style. Yannick, c’est un chant du « mal d’amour » adressé à celui qui reste perdu dans le public, avec le superbe piano de tendresse de Emahoy Guebrou pour l’ac­com­pa­gner.

Vue la dispro­por­tion des moyens employés pour la scène finale (qu’on vous laisse décou­vrir), nul doute que ce Yannick soit le film le plus poli­tique de Quen­tin Dupieux. Mais pas démago pour un sou, toujours inat­tendu, il n’en­fonce ni le clou de la lutte des classes péri-urbaines, ni l’or­gueil intello de la mise en abîme (il y a même un monsieur qui s’en va). Il signe une satire tendre et sans aigreur qui se mue en hommage au plai­sir de jouer. Et nous jouons tous.

Yannick de Quen­tin Dupieux (Fr, 1h07) avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébas­tien Chas­sa­gne… Sortie le 2 août. Désor­mais dispo­nible en Vod et sur Canal Plus.