Mon voisin Totoro, Le Vent se lève ou Le Voyage de Chihiro, les chefs d’oeuvres du dessinateur japonais qui a fait rêver des générations entières de spectateurs sont désormais visibles sur Netflix. Tout avait commencé au sein des puissants studios d’animation Toei, qui ont durant des décennies produit des dizaines de films et des milliers d’heures de programmes pour la télévision japonaise. S’y sentant un peu l’étroit et surtout cadenassé par des contraintes commerciales drastiques aboutissant à des scénarios standardisés, Hayao Miyazaki et Isao Takahata choisissent de fonder ensemble les studios Ghibli en 1985, pour pouvoir développer de nouveaux projets plus personnels, en toute indépendance.
Tous deux pétris de culture européenne, grands admirateurs de Paul Grimault et du Roi et l’Oiseau, ils veulent porter l’Anime japonais vers de nouveaux horizons. Si Takahata s’inscrit dans un naturalisme humaniste et délicat (Le Tombeau des lucioles), Miyazaki le poète va lui préférer explorer des mondes imaginaires.

Mon voisin Totoro, un chef-d’oeuvre accessible dès 4 ans
Le public français ne le découvre vraiment qu’à l’occasion de la sortie assez discrète, et dix ans après le Japon, de Mon voisin Totoro, chef-d’œuvre absolu accessible dès 4 ans. Une plongée juste et sensible dans l’univers de l’enfance, qui mêle la tradition shintoïste de son pays (et son rapport particulier à la nature, peuplée d’esprits protecteurs) avec un sens du merveilleux plus occidental.
De cette double influence naît un bestiaire étonnant : Totoro lui-même, mais aussi les noiraudes, petits esprits de poussière noire, ou l’incroyable chat-bus à six pattes, cousin nippon du chat de Cheshire d’Alice au pays des merveilles. Mais c’est Princesse Mononoké qui va marquer le début d’une véritable reconnaissance internationale, grâce à un succès mondial rendu possible par une version doublée en anglais et distribuée par Disney.
Mononoke est une fable écologique sans véritables méchants, comme en témoigne le personnage complexe de Lady Eboshi, qui dirige d’une main de fer le monde des Hommes, en conflit avec une nature sacrée mais potentiellement hostile. Entre histoire et légende, cette grande fresque épique, volontiers belliqueuse, rappelle irrésistiblement un autre maître japonais, Akira Kurosawa, dont Miyazaki fut l’ami et dont il s’inspire ici ouvertement.

Machines volantes, nuages flottants et féminisme discret
Dès lors, ses films vont tous connaître une large distribution, jusqu’à ressortir son film le plus accessible : Kiki la petite sorcière, une merveille de conte initiatique. Avec Le Voyage de Chihiro, Miyazaki signe un nouveau chef-d’oeuvre. Dans ce grand trip visuel envahi par les Yokai, ces étranges esprits polymorphes typiques de la culture nipponne, Miyazaki ne perd pas pour autant en route le public occidental, touché par l’universalité du parcours initiatique de sa jeune héroïne.
Un féminisme discret et sincère parcourt d’ailleurs son œuvre, sans jamais prendre le pas sur la magie du récit. Cela s’appelle l’élégance, et il en est de même pour toutes les préoccupations qui traversent ses films: la conscience environnementale bien sûr, mais aussi sa fascination-répulsion pour la technologie, lui qui a peuplé ses films de machines volantes, promesses d’évasions ou… d’engins de mort. Cette interrogation inquiète sur le génie créatif de l’Homme sera au coeur de son dernier film, le plus adulte, Le Vent se lève.
Fils d’un avionneur et né l’année de Pearl Harbour, il se penche pour la première fois sur des faits réels et signe une chronique historique poignante qui évoque la vie de Jiro Horikoshi, inventeur des tristement célèbres chasseurs zéro, pilotés par les Kamikazes. Dans ce qui sera donc son dernier film, inquiet (en citant Paul Valéry) et pourtant baigné de couleurs somptueuses et d’une romance poignante qui lui rappelle l’amour de ses parents, il refuse une fois de plus tout simplisme, au profit d’une profonde empathie avec la condition humaine. Et nous invite à rêver avec lui, au gré de ses images désormais inoubliables de nuages flottants et de champs infinis battus par les vents. L’été du cinéma d’animation.
A.L.
Rétrospective Hayao Miyazaki (11 films). Jusqu’au dimanche 16 juillet à l’Institut Lumière, Lyon 8e.
Les films des studios Ghibli et notamment la plupart de ceux de Hayao Miyazaki sont désormais disponibles sur Netflix.
