Mon voisin Totoro, Le Vent se lève ou Le Voyage de Chihiro, les chefs d’oeuvres du dessi­na­teur japo­nais qui a fait rêver des géné­ra­tions entières de spec­ta­teurs sont désor­mais entrés dans l’ima­gi­naire collec­tif. Tout avait commencé au sein des puis­sants studios d’ani­ma­tion Toei, qui ont durant des décen­nies produit des dizaines de films et des milliers d’heures de programmes pour la télé­vi­sion japo­naise.

S’y sentant un peu l’étroit et surtout cade­nassé par des contraintes commer­ciales dras­tiques abou­tis­sant à des scéna­rios stan­dar­di­sés, Hayao Miya­zaki et Isao Taka­hata choi­sissent de fonder ensemble les studios Ghibli en 1985, pour pouvoir déve­lop­per de nouveaux projets plus person­nels, en toute indé­pen­dance.

Tous deux pétris de culture euro­péenne, grands admi­ra­teurs de Paul Grimault et du Roi et l’Oi­seau, ils veulent porter l’Anime japo­nais vers de nouveaux hori­zons. Si Taka­hata s’ins­crit dans un natu­ra­lisme huma­niste et déli­cat (Le Tombeau des lucioles), Miya­zaki le poète va lui préfé­rer explo­rer des mondes imagi­naires.

Mon voisin Totoro, un chef-d’oeuvre acces­sible dès 4 ans

Le public français ne le découvre vrai­ment qu’à l’oc­ca­sion de la sortie assez discrète, et dix ans après le Japon, de Mon voisin Totoro, chef-d’œuvre absolu acces­sible dès 4 ans. Une plon­gée juste et sensible dans l’uni­vers de l’en­fance, qui mêle la tradi­tion shin­toïste de son pays (et son rapport parti­cu­lier à la nature, peuplée d’es­prits protec­teurs) avec un sens du merveilleux plus occi­den­tal.

De cette double influence naît un bestiaire éton­nant : Totoro lui-même, mais aussi les noiraudes, petits esprits de pous­sière noire, ou l’in­croyable chat-bus à six pattes, cousin nippon du chat de Cheshire d’Alice au pays des merveilles. Mais c’est Prin­cesse Mono­noké qui va marquer le début d’une véri­table recon­nais­sance inter­na­tio­nale, grâce à un succès mondial rendu possible par une version doublée en anglais et distri­buée par Disney.

Mono­noke est une fable écolo­gique sans véri­tables méchants, comme en témoigne le person­nage complexe de Lady Eboshi, qui dirige d’une main de fer le monde des Hommes, en conflit avec une nature sacrée mais poten­tiel­le­ment hostile. Entre histoire et légende, cette grande fresque épique, volon­tiers belliqueuse, rappelle irré­sis­ti­ble­ment un autre maître japo­nais, Akira Kuro­sawa, dont Miya­zaki fut l’ami et dont il s’ins­pire ici ouver­te­ment.

Kiki la petite sorcière, un des films les plus beaux et les plus acces­sibles de Miya­zaki.

Machines volantes, nuages flot­tants et fémi­nisme discret

Dès lors, ses films vont tous connaître une large distri­bu­tion, jusqu’à ressor­tir son film le plus acces­sible : Kiki la petite sorcière, une merveille de conte initia­tique. Avec Le Voyage de Chihiro, Miya­zaki signe un nouveau chef-d’oeuvre. Dans ce grand trip visuel envahi par les Yokai, ces étranges esprits poly­morphes typiques de la culture nipponne, Miya­zaki ne perd pas pour autant en route le public occi­den­tal, touché par l’uni­ver­sa­lité du parcours initia­tique de sa jeune héroïne.

Un fémi­nisme discret et sincère parcourt d’ailleurs son œuvre, sans jamais prendre le pas sur la magie du récit. Cela s’ap­pelle l’élé­gance, et il en est de même pour toutes les préoc­cu­pa­tions qui traversent ses films: la conscience envi­ron­ne­men­tale bien sûr, mais aussi sa fasci­na­tion-répul­sion pour la tech­no­lo­gie, lui qui a peuplé ses films de machines volantes, promesses d’éva­sions ou… d’en­gins de mort. Cette inter­ro­ga­tion inquiète sur le génie créa­tif de l’Homme sera au coeur de son dernier film, le plus adulte, Le Vent se lève.

Fils d’un avion­neur et né l’an­née de Pearl Harbour, il se penche pour la première fois sur des faits réels et signe une chro­nique histo­rique poignante qui évoque la vie de Jiro Hori­ko­shi, inven­teur des tris­te­ment célèbres chas­seurs zéro, pilo­tés par les Kami­kazes. Dans ce qui aurait dû être son dernier film avant Le garçon et le héronhttps://exit­mag.fr/cinema/critiques-cine/miya­zaki-fait-son-vrai-faux-testa­ment-avec-le-garcon-et-le-heron/, inquiet (en citant Paul Valéry) et pour­tant baigné de couleurs somp­tueuses et d’une romance poignante qui lui rappelle l’amour de ses parents, il refuse une fois de plus tout simplisme, au profit d’une profonde empa­thie avec la condi­tion humaine. Et nous invite à rêver avec lui, au gré de ses images désor­mais inou­bliables de nuages flot­tants et de champs infi­nis battus par les vents. L’été du cinéma d’ani­ma­tion. A.L.

Rétros­pec­tive Hayao Miya­zaki en 11 films. Dispo­nibles en partie sur Netflix et en Vod.

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