Après Un autre monde et Enquête sur un scandale d’Etat, revoilà un nouveau film-dossier français, brûlot social à charge contre les pesticides. Quand ce n’est pas Vincent Lindon c’est donc Gilles Lellouche (formidable en avocat perdu des causes perdues), les titres des films sont interchangeables et le nouveau polar du réalisateur de L’Affaire SK1 a beaucoup à voir avec le cinéma de Stéphane Brizé. C’est d’ailleurs Bertrand Blessing qui signe la BO en forme de guitare électrique décharnée, après avoir signé celle d’En guerre. Même réalisme, même travail d’enquête acharné (mais le film n’est pas tiré d’une histoire vraie à proprement parler), la confrontation des points de vue et des univers sociaux entre lobbyistes et activistes donnent lieu à de superbes scènes de joute, de la colère sociale d’Emmanuelle Bercot à la novlangue bilingue de Pierre Niney, exceptionnel en roi de la com’ à l’art consommé de retourner les arguments ses interlocuteurs.

Pierre Niney, Emmanuelle Bercot, Gilles Lellouche, trio gagnant

Clairement à charge pour dénoncer les pesticides à travers la “tétrazine” (on avoue notre incompétence, mais il s’agit sans doute d’un pesticide fictif pour mieux contrer les éventuelles attaques judiciaires des lobbies contre le film), Goliath évite pourtant tout manichéisme en servant chacun de ses trois acteurs principaux à égalité d’intensité dans un film choral fluide et haletant. Même les victimes sont incidemment montrées ne sachant pas toujours résister à l’appât du gain dont use lobbies. De la même façon, Frédéric Tellier décrit explicitement un monde post-Covid qui ressemble furieusement à l’ancien, miné par le cynisme de l’ultra-libéralisme de l’Etat français comme de la commission européenne. Et si Emmanuelle Bercot termine le film dédié “à nos mères”, c’est Pierre Niney qui emporte le morceau de bravoure à nos yeux dans le rôle pourtant le plus ingrat, aussi à l’aise pour tromper son monde en anglais qu’en français, de ses yeux de corbeau et de sa voix posée.

Laurent Stocker et Pierre Niney en plein self-control.

Au nom de la terre

Dommage alors qu’il appuie un peu trop sur la pédale mélo dans les seconds rôles (maladie précoce, grève de la faim, suicide agricole…), il n’en avait pas besoin, pas plus que de faire citer Boris Vian et sonJ’voudrais pas crever par Laurent Stocker de la Comédie Française. Bref, la dédicace finale nous informe du lyrisme à l’oeuvre du réalisateur et de son scénariste (Simon Moutaïrou, déjà à l’oeuvre sur Boîte noire avec… Pierre Niney). Mais si Goliath pêche par quelques excès, quand il filme ses personnages toujours convaincants à travers manifs, réunions, vie quotidienne dans une image sans cesse soignée, il confirme les qualités formelles d’un polar à la française à son meilleur.

Goliath de Frédéric Tellier (Fr, 2h01) avec Pierre Niney, Emmanuelle Bercot, Gilles Lellouche, Marie Gillain, Yannick Renier, Laurent Stocker… Sortie le 9 mars.

Emmanuelle Bercot arrachée à la manif.