Grand acteur félin et décomplexé, Adama Diop revient au TNP après La Cerisaie en début de saison pour incarner l’Othello de Shakespeare aux côtés de Nicolas Bouchaud. Et se coltiner la question du racisme en compagnie d’un metteur en scène en qui il a toute confiance : Jean-François Sivadier.

Vous étiez dans La Cerisaie de Tiago Rodrigues, vous voici dans Othello vu par Jean-François Sivadier, deux metteurs en scène qui travaillent beaucoup au plateau. Ça correspond à votre tempérament ?

Adama Diop : “Oui, ils ont tous les deux un grand sen de l’aventure humaine autant qu’artistique. C’est ce qui fabrique les troupes, et qui permet d’atteindre une plus grande intensité, même s’ils n’ont pas la même sensibilité ni la même manière de fabriquer du théâtre. Mais les deux font beaucoup d’allers-retours entre la table et le plateau aux répétitions effectivement, et nous laissent une grande part de propositions. C’est merveilleux de pouvoir se sentir autant créateur quand on est interprète.

Adama Diop en Lopakhine qui a réussi dans La Cerisaie de Tchékhov vue par Tiago Rodrigues.

C’est la première fois que vous travaillez avec Jean-François Sivadier ?

Oui, c’est de voir sa mise en scène de La Vie de Galilée qui m’a persuadé de faire ce métier, à un moment où je n’en étais pas encore certain. Je lui avais raconté quand je l’avais croisé plusieurs années après, mais je pense qu’il avait oublié depuis ! En revanche, il est venu me voir jouer Mes frères de Pascal Rambert en me disant en sortant qu’il aimerait travailler un jour avec moi. Ça ne tenait qu’à lui !

« Beaucoup de gens pensent qu’Othello est raciste. Je voulais aller y voir de plus près, en profondeur. Je ne l’aurai sans doute pas fait avec quelqu’un d’autre que Jean-François Sivadier. »

adama diop

Même dans Othello, qui traite de violence et de racisme ?

C’est sûr que je n’aurais pas forcément dit oui avec un autre metteur en scène,. Mais j’ai une telle confiance en l’homme et en l’artiste pour aborder ces sujets aussi complexes, que je n’ai pas hésité une seconde. Et je n’ai pas choisi ce métier pour aller vers la facilité… Beaucoup de gens pensent qu’Othello est une pièce raciste, ça m’intéressait d’aller y voir de plus près, en profondeur, et voir ce qui pouvait subsister ou pas du racisme de 1600 aujourd’hui…

En travaillant, on s’est d’ailleurs rendu compte que même l’histoire des mises en scène de la pièce est problématique. C’est quand même l’histoire d’un homme noir, d’un autre continent, qui a du mal à s’intégrer et qui finit par y arriver, mais qui restait interprété par des hommes blancs grimés le plus souvent. Rien que ça,, c’est problématique ! Cette pièce nous ancre dans un jeu de miroir de la figure de l’autre et de l’étranger, jusque dans sa représentation. C’est vraiment une pièce passionnante à tous points de vue. Ne serait-ce que pour moi : en homme noir sur un plateau, qu’est-ce que je représente ?

Adama Diop entre Cyril Borthorel et Nicolas Bpuchaud dans l’Othello de Jean-François Sivadier. (photos Jean-Louis Fernandez)

La question inverse s’était posée publiquement quand vous jouiez Macbeth, un personnage blanc sur le papier, pour Stéphane Brauschweig… La question des couleurs de peau semble plus libre en danse par exemple.

En danse contemporaine sans doute, parce qu’en danse classique, je pense que le problème demeure. Je crois que c’est avant tout lié à une certaine société d’un certain milieu qui n’a pas encore compris que le monde a changé. J’ai toujours fait les choses librement. Ce qui m’intéresse, c’est de rencontrer des artistes passionnants, de me remettre en question et d’aller dans la complexité des choses. Il y a eu pour moi un avant et un après Macbeth, c’est sûr…

Mais avant tout parce que c’est un rôle extrêmement dur ! C’est un peu le cas pour tous les rôles au théâtre, je n’ai jamais eu la sensation d’avoir réussi. Ce sont de tels rôles qu’on les explore le mieux possible pendant un temps. On pourrait toujours y revenir, comme pour Othello… C’est passionnant de se heurter à des grands rôles pareils, aussi pour simplement s’éclater comme acteur ! J’ai par exemple une grande envie d’acteur de jouer Richard III !

Les grands fous vous attirent ?

Les complexes en tout cas. Je fuis la case à cocher, je fuis l’emploi, le confort ne m’intéresse pas… J’aime les personnages complexes.

« Je fuis la case à cocher, l’emploi, le confort ne m’intéresse pas. Je n’ai pas choisi de faire ce métier pour la facilité. J’aime les personnages complexes.

adama diop
Adama Diop en Macbeth pour Stéphane Brauschweig (photo Thierry Depagne).

Voyez-vous des liens entre Macbeth et Othello ?

Oui, on retrouve beaucoup les mêmes obsessions chez Shakespeare. Je dirais que c’est un miroir noir de l’âme humaine, même s’il y a aussi du comique, et la capacité ou l’incapacité à voir ses propres sentiments. Ce ne sont pas des chefs-d’oeuvre pour rien, c’est vertigineux ! Macbeth, c’est un général à qui tout réussit, tellement adulé par le peuple qu’il en devient dangereux, et qui finira décapité… Otello est aussi un général respecté, ancien esclave qui a gravi tous les échelons, et qui finira par tuer la femme qu’il aime et se suicider.

Même si ce sont pour des motivations très différentes, il y a dans les deux pièces cette énigme e la déchéance humaine au coeur d’une réussite apparente. Dans Othello, s’y ajoute le racisme très puissant de la société, puisque c’est un Maure, quelqu’un qui n’est pas comme les autres, marié en cachette avec la femme qu’il aime. Il y a une violence amoncelée pendant tellement d’années qu’elle ne peut plus ne pas s’exprimer.

Nicolas Bouchaud et Adama Diop, deux monstres de scène. (photos Jean-Louis Fernandez)

 » Le traître apparaît paradoxalement souvent plus sympathique. On verra avec le public si ce sera le cas avec Iago ! »

adama diop

Ce sont des personnages hantés ?

Oui, mais ce qui est intéressant avec Othello, c’est qu’il ne l’est pas au départ. Il y a même une forme d’accomplissement pour lui à être aimé par Desdémone, cette femme de ce rang-là dans ce pays-là. Mais peu à peu, il va se laisser contaminer par la jalousie de Iago et sa hantise à lui, comme on peut être plus fasciné par le criminel plus que par les victimes dans un fait divers par exemple. C’est terrible mais c’est très humain. C’est cette part sombre de notre humanité que Shakespeare parvient à toucher. Et il y a fort à parier que dans la pièce, Iago apparaisse plus sympathique qu’Othello, alors qu’il est le traître… Mais on verra avec le public !

Vous dégagez pourtant un naturel décomplexé sur scène, même pour jouer des monstres…

Sinon je serais incapable d’y aller ! Ce sont des rôles tellement mythiques, traversés par des acteurs extraordinaires, qu’il n’y pas d’autre voie que d’y aller en le faisant de la façon la plus simple. La scénographie, les costumes, la lumière, c’est très important, ça nous aide beaucoup, mais la vision globale se dessine à la fin, elle ne m’appartient pas.

Je dois d’abord exister avec les mots et les gens autour de moi. Je pense à ce que je dis, là où je suis et avec qui je suis, situation après situation. Je ne pense même pas au rôle. Et quand je sors, c’est fini, je coupe ! Sinon je ne pourrai jamais jouer quelqu’un qui tue la femme qu’il aime le plus au monde, c’est très perturbant. En revanche, je reste très vigilant sur l’hygiène de vie, le côté sportif, pour être prêt physiquement. »


Othello de William Shakespeare. Mise en scène Jean-François Sivadier, avec Adama Diop, Nicolas Bouchaud, Emilie Lehuraux… Du jeudi 26 janvier au samedi 4 février à 19h (dim 15h30) au TNP à Villeurbanne, grande salle Roger Planchon. De 12 à 25 €. Puis du mercredi 1er au samedi 4 mars à 19h( sam 17h) à La Comédie de Saint-Etienne. De 5 à 23 €.