Vous situez Lyon au début de votre livre au centre de la « première mondialisation ». En quoi consiste-t-elle ?

Jacques Rossiaud : « Je parle de première mondialisation parce qu’en un siècle, Lyon est passé de l’état de ville moyenne, et même très moyenne vers 1250, à celui de grande métropole. C’était la ville à partir de laquelle se faisaient toutes les transactions financières et les assurances maritimes. Des affaires qui se déroulaient à 3000 km étaient conçues et traitées à Lyon. Tous les livres imprimés se retrouvaient sur la place de Lyon lors des foires. C’était l’internet ou le Google du temps d’alors. On pouvait tout lire à Lyon. On accédait vraiment à tout. C’était exceptionnel. C’était aussi la première place bancaire d’Occident à la fin du XVe siècle. On peut vraiment parler d’une ville mondialisée.

On tolérait la prostitution pour mieux contrôler la jeunesse

Jacques Rossiaud

Jacques Rossiaud. (photo d’illustration O. Chassignole)

Vous évoquez aussi dans votre livre les abbayes de jeunesse et les mœurs particulièrement libres…

Oui, au Moyen-Âge, les abbayes de jeunesse étaient des confréries qui formaient à beaucoup de choses, mais elles entraînaient aussi les jeunes aux bordels ou à des établissements de tolérance. C’était le cas par exemple des étuves de la Pêcherie, un grand établissement de bain qui était notoirement prostibulaire. Ces confréries étaient une façon de contrôler les mœurs de la jeunesse. On tolérait la prostitution pour mieux contrôler la jeunesse.

Pendant les foires notamment, la liberté était très grande. Juridiquement, c’était des lieux d’exception. Depuis le XIIe siècle, la prostitution était considérée comme un moindre mal et même une sorte de garde-fou, pas seulement par les laïques mais aussi par les théologiens ! Elle a une fonction dans la cité. On est très loin des débats d’aujourd’hui pour l’abolir !

On raisonne alors à partir de la théorie du moindre mal. La prostitution est alors considérée comme un moindre mal par rapport aux maux qui pourraient se développer si la prostitution n’existait pas. Les maux considérés alors, c’est essentiellement la violence sexuelle et l’homosexualité. De ce point de vue, on pense alors que la prostitution est un garde-fou, et même un garde-fou moral. Lyon était, de ce point de vue, réputée des voyageurs, même si c’est difficile d’en connaître la réalité exacte. Je ne vais pas dire que c’était une capitale de la prostitution, mais la ville était renommée pour sa liberté des mœurs.

C’étaient un peu des maisons closes avant l’heure : le commerce avait lieu dans des lieux dédiés ?

Oui, des quartiers ou des maisons y étaient consacrés. Ce qu’on appelle prostibulum, c’est-à-dire le bordel, c’est un espace défini pour être juridiquement d’exception par rapport au reste de la ville. Un homme marié ne peut y être accusé d’adultère par exemple. Le lieu excuse la chose.

Un des premiers marchands de saucisse repéré à Lyon est un Italien, et il est vraisemblable que ce soient les Italiens qui soient à l’origine des différentes façons de faire la saucisse.

Jacques Rossiaud

Lyon était-elle aussi déjà une ville de nourriture ?

Absolument. Il y avait énormément de passage, et donc des auberges, et de bonnes auberges. Érasme par exemple en dit le plus grand bien. Les filles sont aimables, on est bien reçu, la draperie est propre… C’est difficile de parler de gastronomie en revanche parce qu’il n’y a pas encore de recettes. Mais si l’on peut affirmer qu’on mange bien à Lyon, c’est parce que la ville est très bien située et qu’elle est très ben apprivoisée grâce aux fleuves. Elle bénéficie des vins, du Lyonnais mais aussi de Bourgogne ou de Savoie. Pour la poulaille ou la volaille très prisée alors, c’est la même chose. Elle bénéficie aussi de l’apport des étrangers qui y viennent avec ce qui est réputé dans leur pays.

Un des premiers marchands de saucisse repéré à Lyon est un Italien, et il est vraisemblable que ce soient les Italiens qui soient à l’origine des différentes façons de faire la saucisse. Le saucisson de Lyon est don peut-être italien ! On trouve aussi tous les bons fromages de la région ou d’Italie. Avec ça, on peut faire des bons repas ! Lyon avait donc déjà le sens des voluptés honnêtes et de la gourmandise !

Vue de Lyon par Guillaume II le Roi en 1523. (DR)

Vous abordez aussi dans votre livre la façon dont on se représentait le monde au Moyen-Âge. Quelles différences y a-t-il entre l’imaginaire médiéval et celui de la Renaissance ?

Mes lignes de démarcation entre le Moyen-Âge et l’âge classique sont plus tardives que celles que les historiens adoptent traditionnellement. Je vois une homogénéité entre les années 1450 et 1550. Pour moi, la grande rupture, ce sont les guerres religieuses des années 1550 et les grandes réformes catholiques et protestantes.

C’est pourquoi j’ai choisi la période 1250-1500 pour mon livre. L’imaginaire médiéval est plutôt fondé sur un substrat légendaire chrétien tandis que pendant la Renaissance, c’est la culture grecque et latine et les mythes antiques qui prédominent, même si l’un et l’autre se mêlent. À Lyon particulièrement, il y a eu surtout une influence des Platoniciens et de la notion d’amour. C’est ce qui explique en partie toute la poésie amoureuse et féminine ultérieure comme celle de Louise Labé.

D’où vient votre affinité avec cette période particulière du Moyen-Âge ?

Enfant, j’ai grandi à côté de la forêt de Montmorency et je lisais Walter Scott, alors forcément… Des professeurs m’ont ensuite confirmé ce goût, ce qui fait que je n’en suis plus jamais sorti ! Dans le Moyen-Âge, il y a cet intérêt de la distance. C’est un autre monde que le XVIIe. Le XVIIe, c’est encore joué et représenté, comme Molière. C’est encore notre monde même s’il est ancien. Ce sont les classiques, ça a beaucoup d’intérêt, mais c’est proche. Le Moyen-Âge, c’est autre chose, ça confine à la fantasmagorie et aux merveilles, et donc ça peut passionner une âme simple… comme moi ! (rires)

Jacques Rossiaud, Lyon 1250-1550, Réalités et imaginaires d’une métropole (29 €, éditions Champ Vallon).

Prochain épisode de notre Histoire de Lyon : le Vieux-Lyon à la Renaissance.

Vitrail du Moyen-Âge. (photo d’illustration O. Chassignole)

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