Claveciniste hors pair et ancien continuiste des Musiciens du Louvre, Francesco Corti est devenu un chef d’orchestre à part entière avec un sens du théâtre peu commun. Il est de passage au festival d’Ambronay. A ne rater sous aucun prétexte.

Vous venez de sortir un double CD Haendel. Quelles œuvres avez-vous choisies ?

Francesco Corti : “Ce sont des suites pour clavecin des années 1720 environ. J’ai inséré au milieu des ouvertures d’opéras. On voit à quel point il a emprunté à Keiser pour chaque opéra, même s’ il nous reste peu d’opéras de Keiser aujourd’hui et aucune information de Haendel. Dans sa correspondance avec Telemann, il ne parle jamais de musique, que de botanique, de chanteuses et d’argent ! (rires) Au départ, ce n’était pas le cas pour moi, mais j’admire la capacité de Haendel à absorber les écritures des autres en en faisant quelque chose de complètement personnel en un rien de temps. Il a un sens du timing et de l’écoute qui est vraiment très très rare. Même Vivaldi n’y arrive pas toujours. Il est vraiment malin, c’est un voleur génial : il emprunte – tout le monde le faisait à l’époque – mais il améliore !

Vous dressez aussi un portrait complet de Haendel, parfois plus introspectif, voire mélancolique, en plus de rendre hommage à son goût de la scène avec l’opéra…

Oui, il fait vraiment sonner le clavecin comme un petit orchestre, et j’ai choisi un clavecin particulièrement sonore ! Même si son écriture pour clavier est assez bizarre. Son goût pour l’opéra en revanche est incroyable. En plus, quand il arrive dans un nouveau pays, il en fait toujours trop et veut démontrer qu’il est très fort au clavier. C’est le cas avec Il Trionfo del tempo en Italie puis avec Rinaldo en Angleterre. Il y a à chaque fois trop de musique, mais les deux sont sublimes ! Je rêve de monter Rinaldo dans une mise en scène décente…

« L’opéra me fascine complètement, y compris en version de concert, même si l’exercice est différent.« 

Francesco Corti

Vous avez un véritable sens du théâtre quand vous dirigez, ce qui est assez rare surtout chez les clavecinistes…

L’opéra, c’est quelque chose de très animal et en live ça ne peut pas être parfait. Il faut l’accepter. On sait qu’on est en danger. Mais je préfère ça à quelque chose de très calculé et de moins vivant. Je viens d’Arezzo en Toscane et mon père était chef d’orchestre et chef de chœur, c’est sans doute dans le sang… Mais c’est vraiment grâce à Marc Minkowski que je suis tombé amoureux de l’opéra lorsque j’étais au clavier des Musiciens du Louvre (de 2007 à 2018, ndlr). Quand nous avons fait La Cenerentola de Rossini à La Monnaie, c’était extraordinaire et pour moi c’était un monde qui s’ouvrait. J’ai compris ce qu’était l’opéra. Marc a toujours préféré les disques live par exemple, comme son Ariodante qui reste sans doute le plus beau. Bruggen aussi enregistrait live, il y a toujours des petits problèmes dans ses disques, mais ils sont vraiment miraculeux ! Il faut d’abord être conscient de ses limites. Moi j’en suis encore incapable, ça me me stresserait trop. Mais diriger de l’opéra bien sûr ! L’opéra me fascine complètement, y compris en version de concert, même si l’exercice est différent.

Vous dirigez à la fois Les Musiciens du Louvre et Il Pomo d’oro aujourd’hui, sans être attitré à un orchestre. C’est une façon de renouveler l’énergie ?

Oui, la façon de travailler est très différente d’un orchestre à l’autre et d’un pays à l’autre. J’aime bien alterner, c’est toujours rafraîchissant. Il ne faut jamais trop s’installer je pense… Mais je vais quand même prendre la direction du théâtre de Drottningholm en Suède, là où Bergman a tourné sa Flûte enchantée. On va faire un opéra par an avec l’orchestre, y compris au disque. Mais il n’est pas chauffé, c’est un des rares théâtres baroques entièrement original.

Quel programme allez-vous jouer à Ambronay ?

Un extrait du programme de Francescco Corti avec Bruno De Sà à Ambronay.

Je viens avec Il Pomo d’oro et le contre-ténor brésilien Bruno De Sà avec qui je viens de faire un disque (Roma Travestita chez Erato, à paraître le 16 septembre, ndlr). Nous allons faire des airs de Scarlatti, Vivaldi du XVIIIe, mais aussi de Gioacchino Cocchi ou de Niccolo Piccini… J’aime toujours faire redécouvrir des partitions autant que possible. Je suis très heureux de revenir à Ambronay, car c’est là que j’avais commencé. J’avais fait l’Académie du festival la même année que Sébastien Daucé et Raphaël Pichon. C’est là que Marc m’avait repéré et m’avait proposé de le suivre.”

Propos recueillis par Luc Hernandez

Francesco Corti, à la tête des Musiciens du Louvre ou d'Il Pomo d'Oro.
Francesco Corti. (photos Caroline Doutre)

Roma Travestita, l’art des castrats par Francesco Corti et Il Pomo d’Oro, avec Bruno De Sà, sopraniste (le CD vient de paraître chez Erato). Samedi 24 septembre à 15h à l’abbatiale d’Ambronay. De 7 à 40 €.

Francesco Corti vient aussi de publier un double CD exceptionnel, George Frideric Handel, Winged hands, The Eight great suites & ouvertures (clavecin, chez Arcana).