Imaginez que vous êtes à la tête d’un musée garni, des caves aux greniers, de milliers d’œuvres, de toutes époques dès l’Antiquité, impossibles à exposer toutes ensemble simultanément. Il faut faire preuve d’une forme de génie pour trouver encore une thématique commune  afin de faire tourner le fonds. Le portrait, le paysage, les impressionnistes… Facile… Mais après ? Encore une fois, avec Connecter les mondes, le musée des Beaux-Arts parvient à rassembler de façon homogène des objets disparates sans tirer l’extrémité du bout du cheveu qu’on renierait même chez Jean-Louis David.

Le musée des Beaux-Arts de Lyon, assemblage dissemblable

La thématique s’intitule « Connecter les mondes ». Cela ne fait pas sexy au départ et pourtant ça l’est. L’exposition jette un œil différent sur les nombreuses passerelles qui relient les mondes depuis qu’on a inventé la marine et même la marche à pied. Les œuvres artistiques s‘interpénètrent entre des civilisations qui ne sont pas étanches. Cela pourrait ressembler à de l’enfonçage de portes ouvertes. Pas besoin d’aller au musée pour savoir que le monde n’est pas mondialisé d’aujourd’hui ni même d’hier matin…

Connecter les mondes et casser la baraque

Warlukurlangu, Pamapardu jukurrpa, Flying Ant Dreaming, 2000. (@ Alain Basset, MBA Lyon)

Pour autant, le MBA a décidé non seulement d’enlever la porte, mais aussi de casser les murs. L’idée est de passer du musée universel (conçu à la Révolution comme un panorama de l’art de l’Antiquité à nos jours) au musée global, en croisant les regards, en arasant les hiérarchies et en considérant chaque œuvre avant tout comme un objet unique plutôt que l’élément d’un courant ou le fruit d’une époque.

Ainsi, ce tableau à base de points dessinant un paysage complexe, une carte géographique, signé par le collectif aborigène Warlukurlangu (Australie) ne s’apprécie pas avec un regard occidental basique. Il déploie un chemin des rêves transmis par les ancêtres (des créatures hybrides à la fois animales, végétales et humaines) pendant les temps de sommeil. Une autre mythologie décrivant le chemin… d’une fourmi volante. Les limites géographiques semblent ténues face à une écritoire japonaise en laque et feuilles d’or du début du XVIIe siècle représentant des Portugais. Rappelons que sans les Portugais et leur art de la friture, la tempura n’existerait probablement pas dans la culture culinaire nipponne.

Brueghel et des tentures chinoises d’exception

La Vengeance d’Hécube, tenture sino-portugaise du XVIIe siècle. (@Alain Basset, MBA Lyon)

Un ensemble exceptionnel d’immenses tentures chinoises (récemment rénovées), aussi du XVIIe siècle, représente des scènes de mythologie latine. Brueghel l’ancien (attention, toiles magnifiques) peint des espèces venues d’ailleurs (en tout cas, loin de la faune des Pays-Bas) : poisson scie, tortue luth, autruche, toucan… La technique et le style de la porcelaine chinoise blanche et bleue de l’époque Ming ont inspiré la faïence de Delft. A travers des objets, toiles et statues, cette exposition n’offre rien moins qu’un regard neuf sur l’universalité des œuvres d’art et leur liquidité géographique. Des œuvres d’art contemporain issues du MAC complètent ce manifeste en filigrane contre l’arrogance du colonialisme, les dangers du localisme et de la consanguinité.

Géraldine Kosiak, H1281, 2020. (@Alain Basset, MBA Lyon)