Ce sont deux courts textes de Natalia Ginzburg des années 60-70, l’un très drôle, l’autre très dramatique, mais que c’est beau ! « Comédie parfaite » selon les propres mots de Nanni, débutant de 70 ans au théâtre, Dialogo est irrésistible. Un dialogue de couple dans un lit avant le sommeil, dont on comprendra les véritables enjeux une fois la lumière éteinte.

Ce ping pong conjugal en forme de supplice délicieux fait rire toute la salle. Deux grands acteurs s’y toisent avec un sens du rythme et des émotions cachées merveilleux. La construction en apparence anodine réserve son lot de surprises jusqu’aux vachardises les plus cruelles, avec un sens de l’humour et l’observation qui fait mouche à chaque fois. Même lorsqu’il s’agit d’évoquer simplement le chien du couple qui serait dans la pièce d’à côté, étalé comme une « grenouille à poils« .

Ping pong vachard et grands acteurs

Le premier volet de ce Diari d’amore au titre ironique donne le ton : sarcastique, le rire s’ouvrant sur les plaies béantes de l’ennui et de l’indifférence d’un couple par trop conditionné. L’histoire de ces gens « qui se marient comme on mange une glace« , thème du second volet, glaçant d’égoïsmes juxtaposés, Fragola e panna (« fraise à la chantilly »). On y retrouve tous les thèmes chers à Moretti, y compris le poids des différences sociales et même une mention incidente au « parti socialiste ».

Avec le même acteur génial, Valerio Binasco, pour incarner la fange masculine, grand habitué du théâtre de la Ginzburg. Le reste de la distribution féminine est étincelant, orchestré avec autant de précision que d’humilité par ce grand prêtre de la direction d’acteurs qu’est Nanni Moretti. Mention spéciale à la domestique Daria Deflorian, tout droit sortie d’un film d’Almodovar.

Daria Deflorian (à droite), domestique tout droit sortie d’un film d’Almodovar.

Moretti / Ginzburg, un duo pour deux comédies dépressives

Car derrière les rires qui fusaient dans la salle pour Dialogo le soir de la première, il s’agit bien de cueillir la tristesse et le chagrin dans la deuxième partie sous le titre apparent d’une glace à la chantilly. Grâce à Nanni Moretti, en plus de son amour pour les actrices et les acteurs, on aura découvert une grande écriture, quelque part entre Nathalie Sarraute et René De Obaldia à la même époque.

« Ce n’est pas une tragédie, c’est une farce ! » répliquera le drôle de mari à sa maîtresse à « l’estomac de rhinocéros » pour s’enfiler glace sur glace dans Fragola e panna. La dépression, les violences intra-conjugales, la solitude dans l’amour, la comédie selon Natalia Ginzburg n’a rien de la vie en rose. « Le silence, c’est fait pour les gens tranquilles, elle a trop de chagrin » remarquera la domestique quand la jeune femme en perdition songe à entrer au couvent.

Le plus célèbre et le plus amusant des dépressifs italiens a bien rencontré sa soeur jumelle de scène en Natalia Ginzburg. Ils aiment tous les deux faire parler leurs personnages pour faire rire et « passer le temps » sur les choses graves. Parce que sinon, « le temps, il ne passe pas ».