Le jour où j’ai rencontré Michel Piccoli…

C’était en 1997. Alors qu’il jouait au TNP, Piccoli était venu présenter son premier film comme réalisateur, Alors voilà, au Cinéma Opéra, où je travaillais alors comme caissier bénévole. Il était arrivé en début d’après-midi pour revoir Journal d’une femme d’une chambre, en riant aux éclats du fond de la salle, rare acteur à ne pas être gêné de se voir sur un écran, s’oubliant totalement pour mieux rire de son personnage de bourgeois salace ridicule, croqué par Bunuel, un de ses doubles de cinéma.

C’est tout le mystère Piccoli : un immense acteur aux choix toujours motivés, radicaux voire intimidants, et une personnalité aussi discrète que décomplexée, vivant dans l’instant Les Choses de la vie. En sortant du film de Bunuel avant de présenter le sien, il était d’ailleurs resté un long moment sur le trottoir du cinéma à discuter avec les quidams, s’intéressant beaucoup plus à la psychologie ou à la vie quotidienne du premier passant qui s’arrêtait pour discuter, que pour mettre en valeur un métier qu’il préférait pratiquer que faire valoir.

Un géant du cinéma discret, presque secret, et pourtant avenant, aussi attentif qu’insaisissable. Insaisissable et extravagant, exactement comme l’était son film, Alors voilà, (tout un programme de porte ouverte vers l’inconnu), avec au générique une des plus fidèles comédiennes de sa troupe intime, Dominique Blanc.

Avant d’aller retrouver le fidèle hôtel où il séjournait à chaque fois qu’il jouait au TNP en promettant le meilleur pot-au-feu de la ville, il était allé prendre un verre avec la petite bande du cinéma, dans une brasserie branchée derrière la fontaine des Terreaux. A peine entré, il avait déjà remarqué de son œil coquin un nu féminin accroché au mur, avant de commander un « galopin » devant un serveur médusé, aussi embêté de ne pas savoir qu’il s’agit de la moitié d’un demi que de « ne pas le trouver sur la machine »…

Pour un homme autant épris de liberté que Piccoli, ne pas pouvoir servir la moitié d’un demi à cause d’une « machine » revenait à peu près à se foutre de sa gueule… Farceur délicat, il avait épargné le serveur pour mieux faire appeler « la patronne, mais nue comme sur le tableau ! ». Avec un sourire carnassier volé à un film de Ferreri ! Je crois qu’il a fini par l’obtenir… Salute ! L.H.