On a failli avoir une otite. En entendant Brice Couturier, essayiste, vanter le « génie » du cinéma de Benoît Jacquot sur France Culture, pour évoquer les déclarations de Judith Godrèche et le #MeToo du cinéma. Outre les accusations très graves de viol qui pèsent contre le réalisateur, il suffit d’avoir vu ses films pour savoir que son « génie » repose la plupart du temps sur le seul fait de vampiriser une jeune fille en la prenant pour objet principal de son film : que ce soit dans La désenchantée avec Judith Godrèche (18 ans), La Fille seule avec Virginie Ledoyen (19 ans), Sade avec Isild Le Besco (17 ans). Et la liste n’est pas exhaustive…

Judith Godrèche, Virginie Ledoyen, Isild Le Besco, même combat

On laissera chaque spectateur – et chaque spectatrice – se faire sa propre opinion quant à l’intérêt artistique de ses films. Mais on était tout aussi estomaqué lorsqu’on a entendu quelques jours plus tard Laure Adler dans l’émission C ce soir, vanter la « poésie » du film La Désenchantée devant… Judith Godrèche, qui lui rappelait la gravité des faits qu’elle dénonce. Laure Adler s’est alors excusée.

Comme l’a écrit la réellement géniale Laure Murat, dans une Tribune au Monde, on découvre aujourd’hui ce qu’on n’a manifestement pas voulu voir pendant longtemps : la méthode décomplexée du prédateur, livrée au public de façon on ne peut plus explicite. Benoît Jacquot n’avouait-il pas à un certain Gérard Miller dans un documentaire que le cinéma était une bonne « couverture » pour le « trafic illicite » de « mœurs de ce type-là ». Comme la littérature pour Matzneff chez Springora, comme l’aura médiatique pour Gérard Miller ou PPDA. Le documentaire de Miller sur Jacquot s’appelait Les Ruses du désir, ça ne s’invente pas… Difficile de faire plus beau lapsus. Pas sûr qu’il y ait beaucoup de « génie » là-dedans, mais de la « ruse« , à l’évidence.

#MeTooCinéma et L’Empire de la culture

La justice dira ce qu’il en est de ces « trafics illicites » et de leur culpabilité inhérente, mais une chose nous frappe : ils reposent tous sur l’alibi du vernis culturel qu’on retrouve dans d’autres affaires de moeurs liées à la culture du viol : Olivier Duhamel, papa de Sciences Po, ou le père de Christine Angot. Le même alibi culturel qui entoure le dernier film de Bruno Dumont, L’Empire, outrageusement sexiste misogyne, et mystérieusement épargné par la plupart de la critique, malgré le départ du film d’Adèle Haenel précisément pour ces raisons-là.

Tout se passe comme s’il y avait une alliance objective entre le petit monde médiatico-culturel et les prédateurs de tous poils s’en servent pour exercer leur emprise. Ce n’est pas pour rien que PPDA et Miller en sont. Ce n’est pas pour rien non plus que le #MeeTooCinéma autant de boomers soixante-huitards avec cet esprit de transgression vanté comme un apanage personnel, et qui correspond ni plus ni moins à un contournement de la loi, voire une façon de l’enfreindre.

Plutôt que de continuer d’y participer aveuglément avec des yeux enamourés pour ces « génies » de la lumière à prendre pour mieux cacher leurs zone d’ombre, il est grand temps de regarder en face et de réagir à ce qui est resté beaucoup trop longtemps invisible, en étant pourtant sous nos yeux.