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Ridley Scott s’attèle au dernier duel connu en France entre Jacques Le Gris et Jean de Carrouges en 1386, le second accusant le premier d’avoir violé sa jeune épouse, suite au témoignage de celle-ci. Le matériau de départ est splendide, la maestria à reconstituer la France du Moyen-Âge aussi (on voit même Notre-Dame encore en construction), tout comme les quelques scènes de bataille à l’épée initiales en forme de prologue. Vient alors la fausse bonne idée du film qui sera sa seule limite : emprunter le principe de narration du Rashômon de Kurosawa et raconter la “vérité” de cette histoire à travers les trois points de vue successifs des deux chevaliers et de l’épouse humiliée (Comie Donner, parfaite de dignité). Le propos féministe (c’est Marguerite qui détient la “vérité”) en écho à #MeToo ne souffre aucune ambiguïté, tout comme la condamnation du patriarcat à travers deux héros masculins pathétiques, solidaires jusqu’au bout, toujours au détriment de la victime, l’un conjugal, l’autre adultérin.

Matt Damon et Adam Driver, avant le litige…

Depuis Annette, Adam Driver ne semble plus jamais vouloir laisser une femme tranquille dans un film, mais il est une nouvelle fois extraordinaire, défendant son personnage jusqu’au duel final, et acceptant en grand acteur des scènes de nudité humiliantes (la pendaison comme une carcasse à un croc de boucher). Quant à Matt Damon, déjà dans un de nos films préférés de Scott, Seul sur Mars, il ressemble de plus en plus à Michael Lonsdale, barbe et cheveux longs, en époux rustaud barbu et condamné par ses origines sociales modestes (autre très beau thème traité par le scénario. Même si filmer parfois les mêmes scènes sous un point de vue différent n’apporte pas toujours grand-chose, cette construction permet d’entretenir l’ambiguïté des points de vue et la lâcheté masculine de la société qui s’exerce autour d’un viol, tout en faisant prévaloir jusqu’au bout le point de vue de la victime, selon le féminisme qui a toujours prévalu dans l’oeuvre de Ridley Scott (à commencer par Alien ou évidemment Thelma et Louise).

Un des plans de reconstitution de Notre-Dame dans Le Dernier Duel.

En plus de ses échos à Gladiator lors des scènes de bataille au glaive, Le Dernier Duel est avant tout un écho aux Duellistes, magnifique premier film du réalisateur. Là encore pour se désoler de la vanité belliqueuse des hommes, mais d’un autre point de vue. Certes, le style depuis s’est épaissi (le duel final, boursouflé, apparaît à rebours du reste du film), mais l’intelligence du propos, l’originalité du sujet historiquement vérifié et le savoir-faire d’un octagénaire en pleine forme laissent pantois. En attendant son prochain Napoléon avec Joaquin Phoenix et Tahar Rahim, destiné pour le moment à la plateforme d’Apple.


Le Dernier Duel de Ridley Scott (EU, 2h32) avec Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer, Ben Affleck (par ailleurs co-scénariste)… Sortie le 13 octobre. Désormais disponible sur Canal + et en Vod, sin que House of Gucci pour un double plaisir Ridley Scott. Lire aussi notre grand portrait du cinéaste.